Sanseverino
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Electron libre dans le paysage musical français, Sanseverino se fout royalement des conventions et développe, depuis ses débuts, un style qui lui est tout personnel (bien qu’imprégné d’influences qui ont vu le jour dans la première moitié du XXème siècle). Il a relancé, auprès du « grand public », la machine des musique tziganes et développe (depuis 2013) un concept autour du bluegrass. Après un premier album (« Honky Tonk », Columbia) réussi dans ce registre, l’artiste prépare actuellement une suite à cette aventure. C’est, cependant, avant un concert qu’il donnait en compagnie d’Adrien Moignard (qui, au sein de son quartet, est devenu un incontournable de la scène manouche) que j’ai pu lui poser les questions qui suivent. Il y répond avec franchise, humour et énergie. Trois éléments qui, additionnés à son sens inné de la musique, rendent chacune de ses prestations scéniques irrésistible.

Stéphane, ta découverte des musiques roots américaines est-elle antérieure à celle des musiques tziganes ?
Oui, elle l’est à mort ! J’ai découvert les trucs « ricains » au moment de la sortie d’un disque de Marcel Dadi, « Marcel Dadi and Friends », qui était un live enregistré à l’Olympia (en 1975) et sur lequel l’artiste recevait tout un tas d’invités. C’est par ce biais que j’ai entendu, pour la première fois, une musique folk qui me plaisait. Je suis, par la suite, devenu un acheteur de disques « à la pochette ». Je ne savais ce que contenaient ces albums mais j’achetais tout ce que je pouvais et, surtout, tout ce que je trouvais.66

Quelles sont, pour toi, les similitudes qui existent entre les registres de musiciens comme Django Reinhardt et ceux d’artistes tels que Bill Monroe ?
Les trucs qui font la jonction entre ces deux registres musicaux sont, d’une part, l’aspect acoustique et, d’autre part, l’espèce de générosité permanente qu’on y trouve. Il y a, constamment, de l’improvisation (même s’il y a des codes pour les morceaux). Puis ce sont des musiques qui font taper du pied et claquer des doigts. Si tu veux les écouter à fond, il te suffit de tendre les oreilles et tu entends tout. En même temps, elles peuvent constituer d’excellentes musiques de fond que l’on peut écouter. Ceci alors que les vraies musiques de fond ne s’écoutent pas. De même, les « vraies musiques à écouter » (le jazz fusion par exemple) deviennent insupportables si tu les écoutes pendant que tu fais la vaisselle.

Je crois que, durant ta jeunesse, tu as vécu en Europe de l’Est (en Bulgarie aux alentours de l’année 1968) où tu as découvert la musique tzigane. Maintenant que tu es revenu vers le bluegrass, as-tu déjà eu l’occasion de te rendre dans le Kentucky afin de t’imprégner de son atmosphère ?
Je comptais le faire pour préparer l’album mais, finalement, je ne l’ai pas fait. Les musiciens d’ici, qui ont participé à mon projet, y font tous des passages deux ou trois fois par an. Je pouvais donc, facilement, m’appuyer sur leurs expériences.
De plus, maintenant que nous disposons d’internet, il est facile d’aller découvrir n’importe quel groupe par l’intermédiaire de petites vidéos. C’est pour ces raisons que je n’ai pas pris le temps de m’y rendre. Par contre, j’irais bien à Austin pour y voir des trucs un peu plus rock’n’roll et psycho. Ceci dit, ce ne sera pas dans le même but. Ce voyage sera, avant tout, réalisé pour mon plaisir.
En fait, j’avais aussi peur d’être déçu et comme je connaissais plein de musiciens français, qui font du bluegrass depuis longtemps, je n’ai pas franchi l’étape. Le fait d’aller aux USA, y louer un studio d’enregistrement et y embaucher des musiciens que je ne connais pas me semblait compliqué. Comment leur expliquer ma démarche ? Cela n’aurait pas été facile…Le fait de réaliser un album représente une chose un peu plus importante que cela.
Je n’ai jamais rencontré un musicien pour le faire jouer, dans la foulée, lors de l’une de mes séances. Si ça fonctionne tant mieux mais, si ça ne marche pas, qu’est-ce qu’on en fait ?

Avant de revenir, plus en détails, sur ton dernier album « Honky Tonk » j’aimerais évoquer ton cursus. Tes influences sont assez larges puisque, durant ton adolescence, tu passais allègrement des disques de Magma à ceux de Little Bob Story. Peux-tu me parler, plus en détail, des gens que tu écoutais et appréciais à cette époque ?
A cette époque-là, j’aimais tout ce qui était archi généreux. J’aimais bien les trucs blues mais pas encore le blues du delta et les choses « super pures », que j’ai appris à apprécier par la suite. J’aimais la musique qui proposait de la diversité et dans laquelle il y avait des avalanches de notes. J’écoutais du jazz rock et aussi, dans une moindre mesure, Magma. Je pouvais également me passer du Weather Report. Même si je trouvais cela « mou mou », c’était très beau. En fait, je n’aime pas quand il y a trop d’harmonies. C’est pour cela que j’étais bien avec le swing (où, malgré tout, il n’y a pas zéro harmonie). Il ne faut pas que ça fasse de trop « musiques pour supermarché » alors que c’est l’un des travers du jazz fusion. Dès que ça jouais vite, j’aimais bien… Donc, je me passais du Uzeb et, aussi, le fameux album live d’Al Di Meola « Friday Night In San Francisco » (enregistré avec Paco de Lucia et John Mc Laughlin). Il y avait également David Grisman qui, pour schématiser, fait du swing avec des instruments de folk. Bien sûr, j’écoutais François Béranger et Bernard Lavilliers qui utilisaient, à l’époque, du jazz rock. Des trucs très binaires avec des harmonies de jazz. C’est d’ailleurs grâce à ces deux derniers que j’aimais cela…

A quand remonte ton arrivée à Paris ?
Il s’agit, en fait, d’une ré-arrivée à Paris car j’y habitais déjà jusqu’à l’âge de 18/19 ans. Puis, mes parents sont allés vivre à Mulhouse où j’ai immédiatement demandé à me recasser. J’ai mis un peu de temps pour cela mais j’en suis reparti un an et demi plus tard. Je me suis donc installé seul à Paris où je trainais au Clairon des Chasseurs, à Montmartre. J’ai pu y découvrir « en vrai » mes premiers guitaristes manouches. Pour éviter de payer une bière et de rentrer dans le café, je les voyais de dos. Il m’était donc impossible de distinguer leurs doigts. Je devais deviner leurs positions à travers le manche, ce qui n’est pas facile… C’est drôle, je ne voyais pas les doigts des premiers guitaristes que je voulais copier. Tout cela démarrait mal (rires) !

Peux-tu me parler de ton parcours musical, avant que tu ne débutes en solo ?
J’ai fait un groupe qui se nommait Les Voleurs De Poules (1992-1999) qui était celui qui a le plus marché. Auparavant j’avais intégré plusieurs petits combos qui se produisaient dans un registre rock fun ou blues rock (avec des paroles qui n’étaient pas sérieuses). Avec ces derniers, nous répétions davantage que nous ne jouions. A l’inverse, avec les Voleurs De Poules, nous ne pouvions plus répéter, tant nous jouions. Nous avons fait près de quatre ans de tournées dans les bars. Chose qui est très sympa quand tu démarres, mais dont tu as beaucoup de mal à sortir lorsque tu veux t’arrêter. Tu n’as donc pas d’autre choix que de continuer en essayant, toutefois, de jouer moins longtemps de ce que l’on te propose. Il y a tout un tas de ruses pour travailler dans les rades. Sachant que les cachets ne sont pas gros, tout l’art est de pouvoir y jouer le moins longtemps possible…Toute la difficulté est là (rires) !

La première fois que j’ai eu l’occasion de te voir sur scène, c’était en septembre 2001 à l’Olympia. Tu y assurais la première partie de Brian Setzer. A cette occasion, as-tu eu la possibilité de le rencontrer ?
Ses musiciens étaient là mais lui n’est arrivé que pour jouer. Il était à l’hôtel et n’avait même pas effectué de balances. Avec son groupe il fait juste un petit truc, vite fait, sur le premier morceau. Mon guitariste, Hervé Legeay, était resté pour discuter…A titre personnel, c’est quand j’ai vu Johnny Hallyday débarquer dans cette soirée que je me suis cassé. C’était du « squattage » de scène et il n’était pas dans un état très normal. Il avait arrosé la soirée et chantait mal, j’ai donc préféré partir. C’était une tournée de Setzer (‘68 Comeback Special) qui était pas mal et qui succédait à l’une de ses périodes « Big Band ». Il était en trio avec Bernie Dresel (batterie) et Mark Winchester (contrebasse)… J’aime bien la manière dont jouent ces gars.

A ce moment-là, l’idée d’intégrer un ou deux morceaux plus rock’n’roll dans ton répertoire t’a-t-elle effleuré ?
A cette époque, cette idée ne m’était pas venue à l’esprit. Je me disais que j’avais trouvé un registre qui m’allait bien et je voulais voir jusqu’où cela me mènerait. De plus, je n’aime pas les albums constitués de mélanges musicaux (une valse, un reggae, un machin…). Tout au long d’un disque, j’aime conserver la même orchestration, le même groupe et filer droit dans un style unique. Je ne m’imaginais pas faire, un jour, un album de bluegrass. Une musique que je trouvais trop dure et que j’aimais à une époque où on pouvait encore, en France, assister à des concerts ou à des festivals inhérents à cette musique. Pour moi c’était un truc à écouter, de là à en faire un outil pour des chansons…

L’an passé tu as donc sorti l’album « Honky Tonk », entièrement dédié à cette musique. Comment cette idée a-t-elle germé en toi ?66
L’idée m’est venue après avoir changé plein de fois de rythmiques et de groupes pour des tournées différentes. Je voulais essayer de nouvelles choses et ne pas proposer une tournée ou un album qui feraient plaisir aux clients potentiels (c’est-à-dire d’enregistrer un nouveau disque de swing même si j’adore encore en faire, car cela me permet de me replonger dans un truc que j’adore). J’ai envie de continuer à surprendre les gens. D’ailleurs, l’une des tâches d’un artiste est de surprendre son public et de ne pas toujours proposer la même chose. Je préfère entendre les gens dire « ah, ça change tout le temps » que « oh, c’est toujours pareil »… même si, ces deux remarques sont des plaintes. En plus, j’aime m’éclater en redécouvrant des trucs et les étudier. Je connaissais le bluegrass mais je m’y suis replongé pendant un an car c’est une technique de guitare différente des autres. Du coup j’ai, à nouveau, bossé pas mal de choses que je n’avais pas travaillées depuis longtemps. On apprend en allant vers un style que l’on va « exploiter ». Ce n’est pas un terme financier, c’est juste se servir d’une musique que tu connais aux trois quarts pour arriver aux cent pour cent. Pour ce projet, la difficulté était de chanter en français. Je ne connaissais pas de mecs qui chantaient dans cette langue sur du bluegrass, en dehors d’un gars au Québec. J’ai donc fait un test avec mes propres morceaux et je me suis entouré de mecs qui connaissent le sujet sur le bout des doigts. Après quelques séances de travail nous en avons conclu que je pouvais me lancer dans cette aventure. C’était un risque sans vraiment en être un, car c’était très agréable !

Après un tel travail en amont, l’enregistrement du disque a-t-il été rapide. De quelle manière a-t-il été conçu en studio ?
Ce disque là (un autre est en cours de réalisation avec une technique différente) a été enregistré de manière traditionnelle. Nous nous sommes tous mis en rond dans une pièce et chacun d’entre nous avait un micro. Nous avions répété en amont pendant dix jours et, de ce fait, nous connaissions bien les morceaux et nos parties respectives. Je n’ai chanté qu’un ou deux titres durant ces sessions, sinon je donnais simplement quelques repères vocaux au micro. Les 17 chansons ont été captées sur une dizaine de jours même si, sur certains cas, nous avons eu besoin d’une journée entière de travail pour une seule d’entre elles. Il n’y avait pas vraiment de règle car nous pouvions aussi en faire cinq la journée suivante ou deux sur trois jours.
J’aimerais enregistrer mon prochain album avec juste deux ou trois micros et que nous fassions un rond plus serré autour de ceux-ci. Je souhaiterais chanter directement dessus. Le mixeur aura une piste pour la contrebasse et deux autres micros qui feront les voix ainsi que le reste des instruments.

« Honky Tonk » a été enregistré avec une équipe particulièrement bien choisie. Est-ce ces musiciens que nous retrouverons sur ton prochain opus ?
Oui, absolument !

Comment les as-tu rencontrés ?
Le premier que j’ai rencontré est Christian Séguret qui joue de la mandoline et du violon. Je l’ai connu il y a très longtemps, alors que j’étais fan de bluegrass. J’étais allé le voir et lui avait demandé de me donner des cours. Au moment de monter ce projet, je l’ai recontacté et lui ai demandé de me trouver un banjoïste. Il m’a donc présenté à Jean-Marc Delon qui est un banjoïste 5 cordes qui, depuis, m’accompagne aussi bien sur disque qu’en tournée. J’ai amené un violoniste qui vient du jazz (Christophe Cravero) et un contrebassiste (Jidé Jouannic) qui accompagne régulièrement le Jim Murple Memorial (qui connait donc bien la musique black ; rhythm & blues, swing, qui est aussi fan de country music et d’Elvis Presley mais qui ne connaissais pas le bluegrass). Je leur ai fait écouter des trucs et ils s’y sont mis, parce qu’ils aimaient bien. Les vrais musiciens de bluegrass du groupe (Christian et Jean-Marc) sont venus vers un chanteur qui chante en français alors que nous autres, nous nous sommes rapprochés d’eux. Dans le bus de tournée, nous écoutions des tonnes et des tonnes de bluegrass et regardions des vidéos pour observer les doigts des mecs (utiliser un capot ou non, position des doigts pour une danse irlandaise etc…). Je te passe les détails, sinon il y en aurait pour quatre heures…Nous nous sommes renseignés…

Tu as popularisé la musique manouche auprès du jeune public du XXIème siècle. Penses-tu que cela a aussi été le cas pour le bluegrass. As-tu conservé le même public d’un registre à l’autre ?
Oui, le public est le même. Ce sont des gens qui aiment la chanson plutôt que des gens orientés vers une musique en particulier. Parmi eux, il y en a beaucoup qui ont autant aimé mes tournées swing que la tournée bluegrass. Par contre, ils n’aiment pas les tournées électriques. Dès qu’il y a une batterie et des amplis, le son change et je constate un rajeunissement de l’audience. Mon public aime, en général, comprendre les paroles. Moi, à titre personnel, j’aime qu’on comprenne mes paroles mais le fait qu’on ne les comprenne pas ne me gêne pas. Cela fait partie de la musique… Quand j’écoute Johnny Winter, il y a des choses que je ne comprends pas et je m’en « contretape » vraiment ! Si j’ai envie de comprendre j’ouvre le livret je me dis « ah tiens oui, il dit ça ». Le « public chanson » (les gens qui aiment bien Anne Sylvestre, Allain Leprest…) qui apprécie les arrangements très légers, est un peu gêné avec mon débit et le fait que j’aime les arrangements chargés ainsi que les musiciens qui improvisent derrière ma voix. Dans la chanson, on écoute le pianiste et les textes… on ne va se défouler, au café, qu’après (rires) !

Un nouvel album, dans un registre bluegrass, est donc annoncé pour bientôt et tu m’as parlé de ton envie de te rendre à Austin. Aurais-tu déjà des idées pour une future orientation musicale ?
Je n’irai pas à Austin pour y jouer. On m’avait déjà proposé de venir à New-York et je ne l’ai pas fait. Je mets au point ce voyage au Texas mais j’ai un peu la « glue » de passer par le protocole pénible de ces saloperies de douanes ricaines. Ces trucs d’ambassades et d’exclusions à tout prix…On a déjà notre dose d’exclusions et de fascisme ici et je n’ai pas besoin de prendre l’avion pour en trouver ailleurs. Ceci dit, j’irais bien là-bas pour y écouter des groupes.
Mon prochain album de bluegrass sera écrit à partir d’un bouquin. En l’occurrence « Papillon » d’Henri Charrière… En ce moment, je lis un chapitre puis écris une chanson dans la foulée.
Si, après une chapitre, je ne trouve pas de thème de chanson, je passe au suivant. J’avance donc de cette manière dans le bouquin, afin de mettre au point un spectacle qui évoquera tout le livre. Après, je referais bien une tournée western swing, une tournée en trio et une autre en compagnie de gens tels que ceux que j’accompagne ce soir. J’ai envie de 15.000 trucs et je pense que je vais crever avant d’avoir réalisé tous mes souhaits. Tant pis, ce sera une frustration éternelle !

Au final, comment pourrait-on te qualifier au sein de la musique française ?
J’ai juste l’impression d’être un chanteur libre. J’ai la chance de pouvoir faire ce que je veux… Je rempli les salles de moyennement à très bien ce qui fait que, lorsque je propose une idée, je fais tout de même attention à ce qu’elle ne soit pas extrême et inaudible. A priori, je sais que cela va passer car on me fait confiance. J’ai donc une marge de manœuvre agréable et je me sens supra libre, bien que la liberté est une chose que partagent beaucoup de chanteurs. J’ai des envies assez larges qui vont des trucs tziganes aux trucs américains des années 1920 à 1950. Un jour, je ferais bien un album de blues, seul à la guitare… mais peut être que ce sera tout pourri et que j’abandonnerai au bout de trois chansons. Quoiqu’il en soit, les envies sont là !

As-tu une conclusion à ajouter à cet entretien ?
Oui, je dirais bien au revoir (rires) !

Remerciements : Jean-Pierre Vignola

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Interview réalisée
Jazz Festival - Munster
le 28 mai 2014

Propos recueillis par
David BAERST

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