A l’image de chacun de ses membres, c’est avec intelligence et humilité que le groupe Scarecrow renouvèle le paysage musical français.
Faisant s’entrechoquer blues et hip-hop, les quatre garçons ont démontré en deux albums (« This Is Blues Hip Hop », 2011 ainsi que « Devil & Crossroads », 2013 ») et des centaines de prestations scéniques mémorables que les éternels clichés liés aux sons qu’ils défendent… n’ont pas la vie facile face à leur talent, leur ouverture d’esprit et leur capacité à réunir tous les amoureux de musique
Voici une petite question basique afin de débuter cet entretien. Pouvez-vous vous présenter chacun à votre tour et me dire quelle est votre fonction au sein du groupe ?
Antibiotik : Je suis le scratcheur/rappeur du groupe.
Le Pap’s : Je suis le batteur…
Jamo : Je tiens la basse et je suis le choriste de Scarecrow…
Slim Paul : Je suis à la guitare et au chant.
Pouvez-vous revenir sur la genèse du groupe et la manière dont ce dernier s’est formé ?
Slim Paul :
Le groupe a connu différentes formations depuis cinq ans. Il n’est pas très intéressant de s’y attarder… Par contre, il l’est beaucoup plus de revenir sur la rencontre entre Antibiotik et moi-même. C’était à l’occasion d’un « bœuf » sur les bords de la Garonne (les berges aménagées à Toulouse). Cette rencontre a été primordiale en ce qui concerne la naissance de Scarecrow. Je jouais de la guitare lorsqu’il est passé et a commencé à improviser un rap sur ma musique. Nous nous sommes immédiatement très bien entendus et avons même, par la suite, habité ensemble pendant un mois ou deux. C’est alors que l’idée a germé de mettre au point un concept regroupant ses influences hip-hop et les miennes, qui sont clairement ancrées dans le blues.
Nous en avons tiré une conclusion sans appel, à savoir qu’il était possible de le faire… d’écrire des morceaux ensemble. Au départ, notre style était à la fois très blues et hip-hop mais, à force de partages et de mêler nos goûts musicaux respectifs, nous avons pu trouver la symbiose qui nous caractérise le mieux.
Vous vous produisez dans un registre qui est nouveau en France. Comment le définiriez-vous ?
Slim Paul : Blues hip-hop… C’est, en tout cas, l’étiquette que nous avons affichée dès les débuts afin d’éviter que d’autres le fassent… mal en France (rires).Le fait de nous imposer une étiquette pourrait nous mettre des barrières mais, au final, nous constatons que cela nous offre un immense terrain de jeux. Ces deux courants ont, en effet, une grande histoire. Nos influences ont donc été naturellement doublées…
En 2002 un groupe anglais s’est formé en proposant un concept similaire au votre. Il s’agit de Nublues qui a « débroussaillé » le terrain dans ce registre. Le connaissez-vous et, si oui, vous a-t-il servi d’exemple ?
Slim Paul : Nous le connaissons mais il ne nous a pas du tout servi d’exemple. En effet, lorsque nous l’avons découvert nous étions déjà impliqués dans notre projet.
Le fait de constater qu’il y avait un antécédent dans ce registre musical nous a fait sourire. Pour avoir un peu écouté les disques de Nublues, je peux t’avouer que j’y retrouve un peu de la fusion que nous retrouvons dans notre travail. Cependant nous nous en démarquons beaucoup dans la mesure où l’un de nos membres est à la fois scratcheur et rappeur… ce qui est une chose très rare.
Nublues est vraiment basé sur le blues alors que Scarecrow ne pratique pas une musique prédominante, on trouve autant de blues que de hip-hop dans notre groupe.
Antibiotik : C’est ce que nous essayons de faire au mieux. Nous voulons allier ces deux aspects de manière cohérente et équilibrée. De plus, je pense que nous mettons un point d’honneur au fait de ne pas être influencés par ce qui se fait en ce moment. Je pense, par exemple, au duo Heymoonshaker qui connait actuellement une ascension fulgurante.
Nous n’avons pas de groupes de prédilection dont nous suivons la trace. Notre but est d’imaginer des concepts nouveaux et de nous y aventurer. Ce sont des pistes de réflexion dont nous déduisons de la musique. Nous ne cherchons pas à emprunter un chemin déjà exploré, avant nous, par des artistes. Nous avons tous les quatre des influences très différentes. Pour Slim Paul il s’agit du blues du début du XXème siècle et de celui des années 1970 (Jimi Hendrix…), Jamo est beaucoup plus intéressé par la soul music et le groove africain alors que Le pap’s puise ses influences parmi des musiques telles que la pop, le métal et même le jazz par certains aspects de son jeu.
Pour ma part je suis, bien sûr, très attiré par le hip-hop de la fin des années 1980 et des années 1990. J’aime aussi beaucoup le jazz, pour avoir « taffé » avec de nombreux « jazzeux ».Nos cultures respectives nous permettent donc d’avoir des bases solides afin d’aller plus loin dans notre démarche. Notre but ultime étant de créer une symbiose blues hip-hop ouverte à des petites touches de soul ou de musique afro… Le blues (issu des sons traditionnels africains) et le hip-hop (issu de la soul, du funk…)se sont nourris de différentes cultures. Nous essayons de suivre cet exemple, de partir de styles connus et d’imaginer une manière de les réinventer. Qu’est-ce qui donne le blues aujourd’hui et qu’est-ce que le hip-hop du XXIème siècle, qu’elle est la musique que les gens veulent entendre actuellement ? Nous tentons de répondre à ces questions… et de partir sur une nouvelle voie, bien éloignée de celle qui nous est imposée par les grands médias.
Le public qui vous suit est-il à l’image de votre musique et de sa combinaison, c’est-à-dire diversifié, ou touchez-vous davantage une seule frange de spectateurs ?
Slim Paul : C’est très intéressant car nous jouons sur deux tableaux qui semblent diamétralement opposés, le blues et le hip-hop. C’est-à-dire une musique de « papys » et une musique pour les jeunes. Nous avons, cependant, eu la surprise de constater que des gens qui n’aimaient pas forcément le hip-hop se sont retrouvés dans ce que nous proposons et que des gens qui ignoraient le blues commençaient à s’ouvrir à certaines sonorités propres à ce registre.
Nous ne visons aucune chapelle en particulier. Nous sommes simplement contents de voir que les plus jeunes, ceux qui viennent nous écouter par leurs propres oreilles sans aucune influence externe, reviennent vers nous en nous disant que ce que nous faisons est « cool ». Cela fait vraiment plaisir car nous savons ce qui passe en ce moment à la radio et quels sont les groupes qui sont mis en avant. Cela nous fait donc d’autant plus plaisir de constater que ces jeunes achètent notre album…
Jamo : A contrario, il a été impressionnant de constater que des personnes plus âgées, venant du blues, découvraient l’intérêt du hip-hop par notre biais. Si nous ne visons pas un public en particulier, nous souhaitons apporter quelque chose aux gens qui aiment la musique. Peu importe d’où ils viennent, qui ils sont et leurs âges respectifs. S’ils sont touchés par notre travail, notre objectif est atteint. Nous jouons devant des jeunes, des anciens, des adultes et des familles complètes. Au final, chacun y trouve son compte… ce qui est très agréable pour nous !
Le blues et le hip-hop sont des registres musicaux qui sont aussi très riches en termes de textes. De votre côté, cherchez-vous à véhiculer certains messages en particuliers ?
Slim Paul : Nous sommes deux à écrire dans le groupe. Antibiotik rappe en français alors que je chante en anglais. Nous n’avons pas toujours envie de raconter la même chose et d’évoquer les mêmes expériences. Cependant, nous parvenons à nous retrouver sur des thèmes communs parce que nous sommes de la même génération et que nous vivons la même vie dans la même société. Au final, que ce soit très onirique, métaphorique, romantique (car le blues c’est aussi cela, une histoire d’amour entre un homme et une femme comme le disait Son House) ou beaucoup plus politique (sans vouloir devenir des donneurs de leçons car nous ne sommes pas là pour cela) nous nous rendons compte que nous cherchons avant tout à être les témoins d’une génération. Celle des années 1980, dont nous sommes tous plus ou moins issus. Il s’agit d’une génération « bâtarde », qui se situe entre les quarantenaires et les gens nés dans les années 1990/2000.
Antibiotik : Nous avons connu l’avant et l’après de l’arrivée d’internet, des gros médias de masse et du « j’te mets du commerce à plein nez et le plus possible » ! Je pense que nous sommes la dernière génération à avoir eu le « cul entre deux chaises », même si nos grands-parents ont connu des époques charnières juste avant l’arrivée de la télévision. Nous, nous avons pris internet « dans les dents » et nous savons ce qu’est une société qui n’est pas informatisée à 100% (et qui vit sans téléphones portables). Les plus jeunes ne connaissent que ça et, du coup, nous possédons peut être un côté plus « traditionnel » qu’eux dans la manière de voir certaines choses. Nous nous appuyons sur un mode plus artisanal et essayons de revenir à l’essence des choses et de ne pas nous perdre dans des faux semblants. Nous ne voulons pas nous retrouver dans une fausse vie qui, au final, te bouffe plus qu’elle ne t’apporte…
Votre concept est déjà très osé et nouveau en ce qui concerne la scène française. Vous est-il déjà arrivé ou envisagez-vous d’aller encore plus loin dans votre démarche. C’est-à-dire d’adjoindre d’autres musiques à votre hip-hop blues. Avez-vous déjà connu des expériences dans ce sens ?
Slim Paul : Oui, nous avons déjà été un peu plus « loin » mais c’était très expérimental et toujours lors de sessions ponctuelles. Nous restons blues hip-hop car je suis très blues et qu’Antibiotik est très hip-hop, tout simplement. Le Pap’s et Jamo sont là pour mettre le ciment… S’il est vrai que l’on s’amuse parfois (en étant plus hip-hop ou plus blues), je ne pense pas que nous avons tout dit dans notre domaine de prédilection. Nous ne pensons pas aller voir ailleurs tant que nous n’aurons pas été jusqu’au bout du « truc »…
Antibiotik : Il nous faut déjà parvenir à notre objectif qui est de savoir ce qu’est exactement le blues hip-hop. Nous nous posons la question lors de chaque enregistrement, elle revient sans cesse depuis quatre ans. Comment imaginer, comprendre et jouer cette musique ?Je pense que c’est lorsque nous arriverons à répondre à ces grosses questions que nous pourrons commencer à chercher plus loin. Ceci même s’il y a déjà eu des ouvertures comme sur l’album « Devil & Crossroads » (2013) et sur l’un des morceaux le composant (« A kind of sign »), une tentative « pink floydienne » avec trois parties distinctes (un début très blues traditionnel en 5 temps, une partie tribale avec de grosses guitares très amples et une fin qui revient vers un côté hip-hop breakbeat puriste). Quoiqu’il arrive, nous essayons toujours d’aller plus loin dans notre démarche et de proposer des nouvelles choses. Sans pour autant dévier de notre trajectoire et en prenant garde de garder notre base et ce garde-fou qui est le blues hip-hop. Si nous ne respectons pas cette règle, nous risquons de nous aventurer dans des patchworks constitués de tout et de n’importe quoi…
Jamo : Il y a eu une réelle évolution dans les trois dernières années. Au début il y a eu beaucoup d’expérimentations car, si nous avions notre concept, nous ne savions pas encore comment combiner les deux styles que nous représentons. Nous souhaitions aussi que cela soit fait avec bon goût… Du coup tout s’est réalisé par tâtonnements en nous donnant toute la liberté que le blues et le hip-hop nous proposaient. Puis, il y a eu une phase de recentrage constituée de grosses discutions entre Slim Paul et Antibiotik (sur les fondements communs de ces musiques, sur leurs divergences et sur leurs points de ralliement).
A partir de là, une réelle symbiose s’est mise en place. Les choses évoluent encore et il y a toujours beaucoup de pistes à explorer car, même si nous connaissons ces styles de musiques, nous ne sommes pas des experts. Nous ne les maitrisons pas de manière encore suffisamment probante. Que ce soit dans le hip-hop ou dans le blues, nous avons encore un long chemin à parcourir. Il y a aussi des éléments que nous n’avons pas sondés dans le mélange de ces deux styles, car nous devons d’abord être à l’aise et poser les fondements du blues hip-hop… afin de mieux pouvoir les détourner dans l’avenir. C’est comme les standards du jazz. On ne peut les « retourner » que si on les connait vraiment. Nous attendons donc de parfaitement maitriser nos bases avant de pouvoir nous amuser à les « tricoter »…
Etes-vous sensibles aux réactions que peut avoir la frange la plus « puriste » du public blues à votre égard ?
Slim Paul : Nous aimons bien les titiller un petit peu… Nous avons participé à l’European Blues Challenge, à Toulouse, dont nous étions vraiment l’OVNI en termes de programmation. Si le public ne savait pas trop à quoi s’attendre nous concernant, je crois qu’il est sorti bluffé de notre prestation. J’ai envie de dire que les puristes sont là pour être « retournés »…
Jamo : Il y en a souvent quelques-uns, et je ne le dis pas méchamment, qui se posent en tant que gardiens d’un certain temple. C’est une chose que je peux comprendre et que je respecte dans le sens où il y a une forme de mémoire culturelle à posséder, afin de garder les bases en vie. D’un autre côté, cela peut parfois être énervant (quelque-soit le style musical incriminé) car ça peut constituer un frein pour le progrès et pour la nouveauté. Nous n’avions pas la pression mais une forte envie de titiller tous ces gens-là avec notre blues hip-hop,en leur démontrant que notre univers laisse une place majeure au blues. Au-delà de nous faire part de leur plaisir lors de notre concert, certains ont avoué avoir été touchés par notre esprit blues. Ce genre, au-delà d’être une musique, est un véritable mouvement et une ambiance. S’il y a des morceaux qui peuvent sonner rock, pop ou hip-hop… ils n’en possèdent pas moins une véritable âme blues. Il y a un vague à l’âme, une espèce de spleen qui s’empare de l’auditeur sans que ce dernier ne comprenne pourquoi… Nous avons énormément travaillé sur cet aspect. Que des experts du blues ressentent cela aujourd’hui, a de quoi beaucoup nous toucher.
Antibiotik : Je pense simplement que le blues est, avant tout, un sentiment. Il y a des jazzmen et des rockers qui sont beaucoup plus « blues » que certains puristes du genre. Son House et Robert Johnson me font halluciner, c’est merveilleux… c’est cette espèce de fêlure que l’on trouve dans leur musique qui fait que cela devient du blues. Le reste n’est que musique et arrangements… On se fout qu’il y ait, ou pas, une batterie, une basse ou des platines en accompagnement…Pour moi, c’est dans le mode d’exécution et dans le « pourquoi tu vas faire cette musique » que tout se joue. Je pense que le blues s’exprime plutôt de ce côté-là. Les gens qui ont peur de l’évolution se trompent vraiment de cheval de bataille. L’évolution est toujours bénéfique si on respecte les fondements. Pour le blues, il s’agit de la retranscription de son vécu… plus que des accords des guitares…
Slim Paul : Il est toujours très rassurant d’avoir un style dans lequel on puisse se retrouver et que ce dernier n’appartienne à personne d’autre. Le blues, le jazz et quelques autres univers sont très rassurants pour certaines personnes. C’est comme cela que ça se passe et ça ne changera jamais…
Vous êtes un groupe très jeune. Avez-vous mis au point un plan de carrière ou y-a-t-il une carrière qui vous ferait rêver. Avez-vous un modèle dont vous aimeriez suivre la voie ?
Antibiotik : Les Beastie Boys ! Cela fait des années qu’ils sont là, malgré la disparition de MCA en 2012, et ils ont toujours fait ce qu’ils voulaient faire. Qu’il s’agisse de disques orientés vers le hip-hop ou le punk…A chaque fois ils ont amené quelque chose. Ils sont revenus aux bases, allés au-delà et ils sont toujours là (le groupe s’est formé en 1979, nda). C’est typiquement le type de carrière que nous souhaiterions connaitre. Ces mecs n’ont jamais « baissé leurs frocs » !
Slim Paul : Dans un premier temps, tout ce que nous voulons c’est jouer, faire de la musique en live et des albums. Je ne sais pas ce qui arrivera dans un an, dans six mois ou demain. Tout ce que je sais c’est que ce soir nous sommes au Cognac Blues Passions, ce qui est vraiment génial. Cela fait un moment que l’on nous parle de ce festival et nous y sommes. De ce fait, on ne va pas penser plus loin que ça pour le moment…
Antibiotik : Le plus important est d’arriver à conserver la mentalité que nous avions à l’âge de 15 ans devant nos instruments. C’est-à-dire aimer ce que l’on fait et prendre de soi-même des bonnes grosses charges de vibrations. C’est le jour où nous perdrons cela qu’il faudra se poser des questions. Tant que nous la possèderons, nous continuerons notre petite route de la manière la plus humble possible. C’est cela le plus important !
Avez-vous une conclusion à ajouter à cet entretien ?
Slim Paul : J’ai juste envie de dire que nous sommes, avant toute chose, un groupe taillé pour la scène. C’est dans cet élément que nous nous exprimons le mieux, donc venez nous voir car vous ne serez pas déçus (rires) !
Antibiotik : Plus globalement, allez voir des concerts et surtout des concerts « découvertes ». Allez soutenir votre scène locale. Il vaut mieux payer 5 euros pour découvrir quatre groupes que de vous enfermer dans une boite de nuit une fois par semaine et payer 15 euros pour vos consommations en plus de votre entrée à 25 euros. Si vous ne vous bougez pas, on va se retrouver avec une uniformisation sur les ondes (ce qui est déjà, plus ou moins, le cas) et il ne faudra pas se plaindre si on entend toujours la même musique à la radio. Donc bougez-vous et partez à la découverte de nouveaux groupes !
Remerciements : Sylvain (Klakson), Valérie, Rebecca & Chloé (R&V Hayat Chatelus) et l’ensemble du service de presse du Cognac Blues Passions.
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