Sly Johnson
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Artiste protéiforme, biberonné au jazz et à la soul music, Sly Johnson s’est forgé une solide réputation dans le domaine du hip-hop avant de se replonger, avec délectation, dans ses premières amours. Un parcours révélateur d’une personnalité curieuse et à l’écoute, dont l’éthique force au respect. Avide de groove et de sonorités aussi pures que limpides, ce touche à tout s’est lancé avec l’humilité qui le caractérise dans la formation d’un nouveau groupe WEARE4, aux côtés d’ainés devenus devéritables légendes de la musique (le pianiste Laurent de Wilde, le batteur André « Dédé » Ceccarelli et le bassiste Fifi Chayeb). Une aventure musicale qui s’inscrit dans la continuité spirituelle d’un artiste qui ne jure que par le partage des connaissances et la défense d’un idiome culturel, dont l’une des forces réside en sa capacité de se renouveler en permanence. Le quartet qui, n’en doutons pas, est voué à devenir culte s’exprime exclusivement en live pour l’instant. Ce sera, par exemple, le cas dans le cadre de la 24ème édition du Festival de Jazz de Colmar le vendredi 20 septembre 2019. C’est d’ailleurs à l’occasion de la conférence de presse de ce dernier, à laquelle il était invité, que Sly Johnson a répondu à mes questions.

Sly, tu es chanteur-auteur-compositeur mais aussi musicien, DJ et animateur radio (émission « Come In2 My Jazz » sur Jazz Radio). Cette dernière vocation est-elle une passion lointaine, quel a été le rôle de ce média dans le cadre de ton éducation musicale ?66
En fait, c’est né d’une envie et surtout d’une discussion avec la personne avec laquelle je vivais à l’époque. Cette dernière m’imaginait dans une émission dédiée au jazz mais, aussi, à tous ses dérivés et à toutes les musiques qui s’en sont inspirées. Comme tu le disais, je suis aussi DJ à mes heures perdues et je ressens une forte envie de transmettre toutes les énergies positives et toute la musique que j’ai pu « recevoir » depuis que je suis tout petit. Il faut savoir que c’est mon papa qui, il y a très longtemps, m’a fait découvrir le jazz. De ce fait, la transmission fait partie de ma vie. Il est vrai que, lorsque je mixe ou que je suis avec des potes, j’ai toujours en moi l’envie de leur permettre de découvrir des choses qui me font vibrer, qui me transforment, qui me transpercent. Le fait de faire de la radio est, pour moi, un bon moyen pour rester en communication avec les gens qui me suivent…et même les autres ! Ainsi, je peux leur faire découvrir mon univers. Ce dernier gravite autour du jazz et il est vrai que je prends un pied énorme avec cette émission qui existe depuis 2 ans. C’est chouette…c’est vraiment un grand bonheur de pouvoir véhiculer ce langage universel. De toute façon, pour moi, le son est avant tout une histoire de partage.

Tout le monde connait ton apport, dans le milieu du hip-hop, à des groupes tels que Simple Spirit ou l’ensemble Saïan Supa Crew. Depuis, tu sembles suivre le chemin inverse d’un Johnny « Guitar » Watson (qui a débuté par le blues avant de devenir l’un des précurseurs d’une certaine forme de funk) puisque, après avoir connu le succès dans le milieu du hip-hop, tu es revenu à des registres plus anciens (comme la soul music ou le jazz que tu citais). Quelles sont, exactement, tes racines musicales ?
Je suis un enfant du hip-hop car, dès la fin de l’adolescence, j’ai pleinement baigné dans cette culture. C’était d’abord par le biais de la danse, puis du human beatboxing, puis du DJing, puis du rap. Si on remonte plus loin encore, on se rend compte que c’est le jazz (surtout instrumental avec beaucoup de souffleurs) qui m’a le plus marqué alors que j’étais très jeune. Parmi les artistes qui m’ont, alors, beaucoup influencé je peux citer Gerry Mulligan, Buck Clayton, Louis Armstrong, Fats Domino. Mon père écoutait aussi du negro spiritual (Mahalia Jackson en particulier) ou Sarah Vaughan. En termes de soul music, j’ai été plongé dans l’œuvre d’Otis Redding, de Joe Tex, de James Brown… Mon père écoutait aussi plein d’autres choses, comme la musique afro-cubaine. C’est, probablement, pour cette raison que la place laissée à la rythmique est très importante chez moi. En conclusion, je dirais mes racines artistiques sont ancrées dans le jazz et la musique afro-cubaine.

Le hip-hop découle, naturellement, du jazz et de la soul music. Quels sont, d’après toi, les points communs les plus notables aujourd’hui entre ces différents registres ?
Je dirais qu’il s’agit de la rage de vivre… C’est le point commun entre tous ces registres. Cette envie de s’arracher aux problèmes du quotidien et aux préoccupations sociales. C’est ce qui relie toutes ces musiques, avec une profondeur d’âme liée aux cicatrices passées ainsi que ce que nous vivons au quotidien (par rapport à la vie qui nous entoure ou à nos combats intérieurs).

Toi qui viens du hip-hop, comment t’es-tu intégré à la scène néo soul française. Sens-tu que tu y tiens une place particulière, comment t’y situes-tu par rapport aux groupes (tels que Malted Milk) qui en sont les fers-de-lance ?
Je suis, un peu, rentré dans ce monde par l’intermédiaire d’une soirée parisienne. Cette dernière créait une connexion entre la soul et le hip hop. A cette époque, c’était l’arrivée de la new soul avec ce chamboulement énorme apporté par D’Angelo avec l’album « Voodoo » (Virgin Records, 2000). Bilal, Dwele et beaucoup d’autres ont, à leur tour, suivis ce chemin. J’étais en pleine transition par rapport à Saïan Supa Crew…puisque j’avais besoin de retrouver une certaine forme de sincérité, de me reconnaitre et de prendre des risques. Donc, quand ce mouvement est arrivé, j’ai plongé et j’y ai adhéré. C’est là que j’ai fait la connaissance de la vraie musique live puisque, avec Saïan Supa Crew, nous jouions sur des bandes. C’était quelque chose de très préparé en studio et de très cadré…Enfin, je rentrais dans un nouveau monde qui ne m’était pas totalement inconnu, car j’écoutais de la musique instrumentale depuis très longtemps. Au final, cela m’a permis d’effectuer une transition d’avec le rap. Je ne me rends pas compte de la place que je peux avoir sur cette scène soul française. En fait, je ne sais pas trop si j’en ai une. Je fais les choses comme je les sens. J’essaye simplement d’être moi-même dans ma musique, sans avoir la prétention de véhiculer une new soul à la française. Même si c’est quelque chose que je porte et que j’assume… Mon envie initiale est simplement de me trouver par l’intermédiaire de la musique…

Ce retour à la soul et au jazz t’a-t-il demandé un travail particulier en ce qui concerne ta voix ?
C’est très particulier, car ma voix est sortie du jour au lendemain… En fait, le jour où j’ai perdu ma mère… C’est à ce moment précis que ma voix est réellement sortie, même si j’avais déjà commencé à chanter. C’était encore timide et cet évènement malheureux a, physiquement, déclenché quelque chose chez moi. Une sorte de rage de vivre… Un peu plus tard, j’ai travaillé le chant avec un artiste lyrique. Cet univers semble très éloigné du mien mais, au final, tout cela concerne la voix avant tout. Il m’a aidé à comprendre comment fonctionne cet « instrument » et de savoir ce dont ce dernier a besoin afin de gagner en puissance, en texture, en largeur. Ce travail a duré 2 ans et il m’a énormément apporté. Je ne peux pas oublier d’évoquer mes collaborations parallèles avec la chanteuse Camille ou le trompettiste Erik Truffaz. Elles aussi m’ont énormément apporté. Sinon, au départ, je n’ai suivi aucun apprentissage concernant la musique soul et je n’ai jamais chanté dans un chœur de gospel. Je n’ai aucune formation d’église… J’ai découvert cela au fil du temps. Comme je suis une personne qui écoute énormément, c’est mon oreille qui a fait le travail…

Tu viens d’évoquer Camille et Erik Truffaz. Tu as, par ailleurs, collaboré avec beaucoup de grands artistes (Rokia Traoré, Sandra Nkaké…) dont Lucky Peterson. J’aimerais revenir sur ce dernier qui est un bluesman mais, également, un grand amateur de soul music et de funk…
Oui tout à fait, c’est aussi un organiste incroyable. Cette rencontre a été organisée par Jean-Philippe Allard (producteur de musique, nda) qui est un grand fan de jazz et de blues. Il travaillait avec Lucky Peterson sur un album en plusieurs volets (« Organ Soul Sessions », Universal 2009). L’un de ces chapitres était consacré à la soul music. Il m’a proposé de figurer sur ce disque et j’ai, forcément répondu oui ! Le seul regret que je pourrais avoir est celui de ne pas avoir vécu de vraie rencontre avec Lucky Peterson. Par contre, il y a eu une vraie rencontre avec Cindy Blackman (percussionniste américaine connue, entre autres, pour ses collaborations avec Lenny Kravitz et pour être l’épouse de Carlos Santana) qui jouait avec Lucky à cette période. Par la suite, elle s’est retrouvée sur mon premier album solo (« 74 », Universal 2010). Une belle collaboration résulte donc de cette expérience, même s’il n’y a pas eu de vrai rapport avec Lucky. Ce qui est un peu dommage…

On peut ajouter à cette liste un grand réalisateur qui est Jay Newland. Le fait d’aller enregistrer aux Etats-Unis , dans la patrie de tes idoles, sous sa houlette puis de te rendre à Detroit a probablement constitué une grande expérience en ce qui te concerne…
Il me reste tellement de choses de ces moments passés là-bas… le lieu, les couleurs, le professionnalisme et la générosité de Jay. J’ai, rarement, vu quelqu’un d’aussi généreux et d’aussi patient. Il était aussi très à l’écoute, car je ne suis pas américain…je ne suis qu’un français qui chante en anglais. Ceci avec des subtilités françaises car l’anglais n’est pas une langue que je maitrise pleinement. Il a su composer avec tout ce que j’avais à apporter, en prenant en compte tous les petits « défauts » que cela incluait. Il a fourni un travail incroyable. C’était un moment complètement « fou » partagé avec des musiciens formidables (Cindy Blackman à la batterie, T.M. Stevens à la basse, Neal Evans et Kraz’ du groupe Soulive…). J’étais comme un enfant à Disneyland…c’était incroyable ! Il m’en reste des souvenirs fous. J’étais, forcément, très intimidé. C’était une chose nouvelle pour moi, d’autant plus qu’il s’agissait de mon premier album solo. Je ne pouvais même pas en rêver auparavant… Ce truc là m’est tombé dessus et c’est grâce à Jean-Philippe Allard et, en premier lieu, grâce à Dee Dee Bridgwater. Au départ, c’est cette dernière qui voulait me produire. Au final elle a parlé de moi à Jean-Philippe Allard qui, après m’avoir rencontré, a décidé de me signer et de créer ce projet. Il l’a imaginé, pensé…

Le rêve se poursuit au sein du groupe WEARE4 avec, encore, des pointures extraordinaires (le batteur André « Dédé » Ceccarelli, le pianiste Laurent de Wilde, le bassiste Fifi Chayeb). Cette rencontre est-elle, pour tous les quatre, une opportunité de concilier un jazz à la Blue Note avec une soul à la Motown ?
En ce qui me concerne, cette collaboration me permet de faire le pont et d’amener un nouveau public vers le jazz…de le conduire vers un univers auquel il n’est pas habitué. D’autant plus que j’y intègre totalement ma personnalité vocale et une solide dose de beatbox. Ceux qui sont davantage touchés par la soul ou le hip hop rentrent, ainsi, facilement dans un environnement jazz. Cette expérience est géniale et c’est de cette manière que je conçois la musique. Ces rencontres, ce mélange…c’est de cette manière que la musique perdure et ne cesse d’être intéressante. C’est exactement ce que je voulais faire et je considère que j’ai une chance inouïe de pouvoir travailler avec des gens aussi talentueux et d’avoir pu rencontrer André Ceccarelli. Je joue, aujourd’hui, avec lui et je le surnomme affectueusement « tonton ». C’est incroyable, j’apprends beaucoup…

Tu leur apportes beaucoup de fraicheur en tout cas. De leur côté, que t’apportent-ils ?
Ils m’apportent aussi beaucoup de fraicheur, c’est mutuel ! D’un point de vue rythmique, « Dédé » m’apprend beaucoup de choses. Chaque concert que nous effectuons ensemble me donne une grande claque, c’est une leçon permanente. Cette finesse, ce touché, ce doigté…je ne pensais pas qu’il était possible d’obtenir une telle musicalité à la batterie. J’apprends la douceur, la force et le côté rock avec Fifi qui n’en est pas dépourvu…même s’il est aussi très funky et jazz. C’est une belle aventure, un nouveau terrain de jeux. Je pense que nous nous amusons…que nous nous considérons vraiment, tous les quatre, comme des enfants !

En conclusion à cet entretien, souhaites-tu ajouter autre chose ou évoquer un thème particulier qui te tiendrait à cœur ?
Mélangeons les choses, mélangeons-nous tout simplement… Il n’y a rien de plus beau que des couleurs qui se mélangent. Les couleurs primaires sont nées de mélanges donc continuons dans ce sens là…en musique et ensemble !

Remerciements : Lucie Hamon et toute l’équipe du Festival de Jazz de Colmar

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Interview réalisée
au Nova Club - Colmar
le 8 février 2019

Propos recueillis par

David BAERST

En exclusivité !


 

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