Sugaray Rayford
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : En l’espace de cinq albums, le chanteur Sugaray Rayford s’est imposé comme l’une des grandes voix du blues. Elevé à San Diego, en Californie, cet artiste charismatique connait toutes les ficelles de sa musique de prédilection et peut se targuer de susciter l’admiration de ses contemporains et de bon nombre de ses illustres ainés. Une véritable bête de scène de 130 kgs, souvent flanquée d’un cigare, également à l’aise dans un studio d’enregistrement comme l’atteste son dernier opus, « Somebody Save Me » (Forty Below Records) paru en mars 2019. A l’occasion de la 46ème édition du Nancy Jazz Pulsations, j’ai retrouvé Sugaray Rayford juste avant qu’il ne monte sur scène. Visiblement heureux de retrouver la France, il ne s’est pas fait prier pour livrer un show qui n’a fait que conforter l’idée que chacun se fait aujourd’hui de lui. Celle d’un homme dont le nom brille, désormais, au firmament de son art.

Ray, la première fois que je t’ai rencontré, tu étais accompagné par un groupe français qui te suivait alors durant tes pérégrinations européennes. Il s’agissait, en l’occurrence, de Flyin’ Saucers Gumbo Special. Quels sont les souvenirs que tu conserves de cette période ?66
Les meilleures choses qui me sont arrivées alors, sont liées au fait que j’ai pu voyager dans toute la France aux côtés de ce groupe. En effet, nous ne nous sommes pas contentés d’une seule date à Paris. J’ai pu voir ce qu’est vraiment la France et sortir des circuits habituellement utilisés par les touristes. Pendant ces années, j’ai pu traverser des endroits plus ou moins reculés et connaitre des recoins peu connus du pays. J’étais comme un vrai français et je suis littéralement tombé amoureux du pays. J’ai toujours eu du plaisir à revenir ici et je dois cela à Fabio Izquierdo, Cédric Le Goff, Jean-Charles Duchein, Stéphane Stanger qui étaient les membres des Flyin’ Saucers Gumbo Special (avec, également, le guitariste Fabrice Joussot à cette époque). Ils m’ont entrainé des petits villages jusqu’aux grandes villes, de l’est à l’ouest et du nord au sud. J’ai vu tant de communes et j’ai pu rencontrer tellement de gens de cette manière… Dans ma vie j’ai beaucoup voyagé, de la Nouvelle-Orléans aux Etats-Unis, jusqu’à Bordeaux en France. Autant de souvenirs qui resteront gravés en moi tout au long de ma vie…

Depuis cette période, ta carrière a pris une grande ampleur. Comment expliques-tu ton impressionnante ascension ?
Je ne peux pas l’expliquer… Je pense que le facteur chance a eu son mot à dire, que j’ai beaucoup travaillé pour cela et que j’ai été entouré par de bonnes personnes. Cependant, de nombreux artistes travaillent très dur sans pour autant parvenir à faire une carrière. Je pense donc que j’ai été très chanceux et que j’ai pu saisir les bonnes opportunités lorsque ces dernières se sont présentées. Je suis, au risque de me répéter, vraiment quelqu’un de très chanceux (rires) !

Aujourd’hui est un grand jour pour moi car j’ai la chance de pouvoir discuter avec celui qui a obtenu le titre d’artiste soul blues de l’année. Que signifie ce Blues Music Award en ce qui te concerne ?
C’est une sensation étrange car j’ai été nommé à de nombreuses reprises avant de l’obtenir. C’est une chose formidable et cela a presque été un choc lorsque j’ai appris que j’étais le gagnant cette année. J’étais un peu « sonné » lorsque je suis monté sur scène afin d’interpréter une chanson en compagnie de mon ami, le pianiste Anthony Geraci. Juste avant, j’avais retrouvé ce dernier backstage en compagnie de légendes telles que le guitariste Steve Cropper. Ceci afin, notamment, de prendre connaissance du texte de ce morceau signé par Anthony Geraci. Un très beau titre qui s’est classé numéro 1 des charts blues. L’interpréter durant ces Blues Music Awards a été un grand moment. Les trois années précédentes, j’avais à chaque fois chanté une chanson que j’avais écrite. Là c’était différent… Je me souviens que c’est Steve Cropper qui m’a interpellé en me disant : « Hey Sugaray, ils viennent de citer ton nom…c’est toi qui a gagné ». Sur le coup, j’étais tellement surpris que je lui ai répondu « gagné quoi ? » (rires) ! Je n’y croyais vraiment pas mais il faut avouer que c’est sympa d’être reconnu, oui c’est cool ! De plus, je tiens à ajouter que mon groupe, The Sugaray Rayford Band, a également été élu meilleur groupe de blues de l’année 2019 lors des Blues Blast Awards à Chicago. Ceci en tant que meilleur groupe de blues de l’année.

Justement, peux-tu me présenter les musiciens qui forment ton groupe à tes côtés ?
Mon directeur musical est Drake « Munkyhaid » Shining.Ce dernier joue des claviers et bénéficie d’une grande expérience puisqu’en plus de 40 ans de carrière, il a aussi bien joué avec le groupe Deep Purple qu’avec Al Green. A la guitare, nous retrouvons Alastair Greene qui mène également une carrière sous son propre nom. Lui aussi s’est produit aux côtés de grands noms de la musique comme Eric Burdon, Bobby Rush, Coco Montoya, Savoy Brown, Walter Trout ou encore Alan Parsons. A la batterie il y a Lavell Jones qui, dans le passé, a aussi bien tourné avec Neil Diamond, Seal, Little Milton que Lucky Peterson. Notre bassiste s’appelle Allen Markel. Il est très réputé sur la scène jazz new-yorkaise et a joué avec Meredith Levande ou encore Steve Tannen du groupe The Weepies. A la trompette, nous retrouvons Giles Straw qui est un anglais que l’on a déjà pu apprécier lorsqu’il jouait avec Amy Winehouse, Lilly Allen ou Cliff Richard. Au saxophone ténor, nous bénéficions de l’apport de d’un autre britannique. Il s’agit d’Aaron Liddard qui, lui aussi, a joué avec Amy Winehouse et qui a partagé la scène avec des stars telles que Prince, Bob Geldof, Maceo Parker ou Jools Holland.

En l’espace de cinq albums, ton style a-t-il beaucoup évolué selon toi ?
Non, mon style reste le même. Tu sais, après avoir travaillé avec lui, beaucoup de gens ont pensé que j’étais le nouveau chanteur du groupe californien de blues The Mannish Boys. D’autres voient en moi un artiste davantage tourné vers le funk. Si tu réécoutes mon premier album, « Blind Alley », tu te rendras compte qu’il est bien plus orienté blues que les suivants. Ces derniers sont plus soul ou d’encrage southside avec un son à la Stax Records. Cependant, je trouve qu’il y a une linéarité à travers tous ces disques et qu’au final, ils ne sont pas si différents les uns des autres. Leurs racines restent, en effet, les mêmes. Cette image blues m’a collé à la peau après ma collaboration avec The Mannish Boys mais il ne faut pas oublier que je viens du Texas, près de la Louisiane. Des états où on aime diversifier sa musique qui peut être tout à la fois emprunte de soul, de jazz, de blues etc.

Peux-tu, en particulier, évoquer ton album « The World That We Living » (paru en 2017 sur le label Blind Faith Records) qui t’a permis de franchir une nouvelle étape dans ta carrière ?
En effet, mon dernier album en date est « Somebody Save Me » qui est sorti en mars 2019 sur le label Forty Below Records. Cependant, « The World That We Living » demeure très important à mes yeux. Il a été produit par un excellent producteur italien, à savoir Luca Sapio. Ce disque est gorgé de soul music, que ce soit dans sa propre réalisation, dans sa structure ou dans le contexte dans lequel il a été enregistré. Qu’il s’agisse des instruments ou des musiciens présents, tout correspond parfaitement à ce que nous souhaitions dégager. Je t’avoue, en effet, que c’est un album que je considère parmi les plus importants de ma vie. Ceci dit, « Somebody Save Me »est sur le point de le dépasser dans mon estime. D’ailleurs, il connait un vif succès dans la mesure où il est classé dans les charts blues depuis de très nombreuses semaines, dont 18 passées dans les 10 premières places. Afin de le concevoir, avec le producteur Eric Corne (connu pour avoir travaillé avec des artistes tels que John Mayall et Walter Trout) nous nous sommes inspirés de la musique de Detroit…en particulier du registre soul-blues célébré par la firme Motown. On y retrouve des musiciens qui ont accompagnés Mavis Staples ou Dwight Yoakam. Le résultat sonne très brut car nous avons privilégié les enregistrements en live dans le studio. Ce disque navigue entre ombre et lumière, explorant aussi bien des sujets graves (comme la situation politique au Moyen-Orient ou la misère) que des choses plus légères…tout en faisant la part belle à des chansons d’amour.

Quelle est ta vision du monde au sein duquel nous évoluons ?
Je crois vraiment que le monde est un endroit formidable…si, toutefois, nous arrivons à vivre avec lui. Malheureusement, le problème est là car les gens essayent toujours d’y imposer leur propre vision des choses sans respecter celles de leurs contemporains. Je crois que nous avons oublié de travailler les uns pour les autres. Aujourd’hui, c’est l’individualisme qui règne en maitre. Il semblerait, pourtant, facile d’êtres amis mais notre fâcheuse tendance à vouloir toujours tout étiqueter et mettre dans des cases empêche cela. Je considère comme une chance le fait de pouvoir voyager autant que je le fais. Cela m’a permis d’apprécier les différences entre les humains et de rencontrer des personnes fantastiques, que ces dernières soient israélites, africaines, portugaises ou espagnoles. Heureusement qu’il reste la musique pour tous nous réunir, sans tenir compte de nos appartenances ethniques ou de nos religions. Avec le blues, il n’y a pas de barrières. J’ai, en effet, remarqué que les gens qui aiment la musique sont beaucoup plus ouverts et à l’écoute des autres personnes.

De ce fait, je pense que la spiritualité est toujours aussi présente dans ta vie dans ta musique.…
C’est, effectivement, le cas même si ce n’est pas forcément dans le cadre d’une organisation précise. Je crois en ma religion et j’ai grandi au sein d’une structure religieuse. Cependant, je crois que mon état d’esprit va au-delà de la religion. Et j’essaye simplement de dégager une bonne énergie. Je crois au fait qu’il faut être positif et non négatif dans la vie. Au final, il s’agit là de ma vraie spiritualité. Il faut savoir garder le sourire dans toutes les circonstances….

Quels espoirs gardes-tu en toi ?
Mes espoirs, en ce qui concerne mon groupe en tout cas, sont simplement de pouvoir continuer à donner des concerts et de rester sur le devant de la scène très longtemps. Mes espoirs pour notre planète sont simples… Ils résident dans le fait que les gens puissent vivre ensemble dans la paix et que tout le monde puisse manger à sa faim. Quelque-soit le langage que tu parles, tu es avant tout un humain. Nous sommes tous issus de la race humaine ; nous ne sommes pas noirs, blancs ou jaunes…nous sommes des humains ! C’est ma perception de ma vie, celle que j’ai essayé d’inculquer à mon fils ou à mes petits-enfants. Un jour, tous les gens qui peuplent notre terre prendront, peut-être, conscience de cela….

A quelques minutes de ton entrée sur scène, souhaiterais-tu ajouter une ultime chose à l’attention de tes admirateurs français ?
Je tiens simplement à leur dire merci ! Merci du fond de mon cœur, cela fait des années que vous me considérez comme un frère et, ça, je ne l’oublierai jamais ! Merci, merci, merci !

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Interview réalisée au
Chapiteau du Parc de la Pépinière - Nancy
le 12 octobre 2019

Propos recueillis par

David BAERST

En exclusivité !


 

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