Reverend John Wilkins
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Bien éloigné des clichés qui font fureur en France, Reverend John Wilkins (né en 1943 à Memphis) est l’une des figures tutélaires de l’authentique gospel du sud des USA. Une musique basée sur une rythmique entêtante, qui créée une communion unique, sans user de subterfuges…et sans se sentir obligée d’être déployée par un ensemble d’une cinquantaine de choristes. Ici tout se joue au feeling, avec des notes qui transpirent, des inspirations qui fusent, ainsi que des émotions qui se transforment en fonction des circonstances et de l’environnement. Mêlant habillement ce registre à un blues rural fleurant bon le terroir du Mississippi, le chanteur-guitariste au style unique continue de creuser le sillon de son illustre père. A savoir Reverend Robert Wilkins (1896-1987), apôtre d’un registre acoustique, qui est entré dans la postérité via la chanson « Prodigal son » (au départ un chant profane titré « That’s no way to get along ») que s’étaient octroyés Mick Jagger et Keith Richards sur l’album « Beggar’s Banquet » des Rolling Stones à la fin de l’année 1968. De retour en Europe, Reverend John Wilkins a fait étape à Colmar, dans le cadre de l’édition 2019 du Festival Musique et Culture. Face à un généreux public, en grande partie constitué de curieux et de touristes de passage, l’artiste et sa troupe ont à coup sûr marqué les esprits. Preuve, s’il en fallait une, que cette musique séculaire est avant tout marquée par le sceau de l’intemporalité.

John, le fait de te revoir en Europe constitue une belle surprise. Quels sont les musiciens qui t’accompagnent sur cette tournée ?
Nous avons Kevin Cubbins de la Beale Street Caravan (série radiophonique, dont le but est de promouvoir la scène musicale de Memphis, nda) à la guitare, Amos Harvey à la basse et Wallace Lester à la batterie. En plus d’être notre bassiste, je tiens à préciser qu’Amos Harvey est également notre tour manager.66

Peux-tu revenir sur tes origines, d’où viens-tu exactement ?
Je m’appelle John Wilkins et je suis un pur produit de Memphis, dans le Tennessee, où je suis né.

J’aimerais que tu me parles de la manière dont ton enfance s’est déroulée là-bas, ainsi que de ton apprentissage musical…
J’ai passé une grande partie de mon enfance à Memphis mais j’ai été amené à me rendre dans d’autres endroits du Tennessee. J’ai grandi et j’ai passé mes premières années dans la maison de mes parents mais, dès l’âge de 10 ans, j’ai intégré un premier groupe de gospel. C’est ainsi, que j’ai commencé à voyager à travers tout l’état et même ailleurs. Puis, je suis devenu membre de plusieurs ensembles successifs. A partir de l’âge de 18 ans, donc lorsque j’étais plus grand (rires), j’ai exploré les deux facettes de ma musique de prédilection. Je me rendais, en effet, dans le Mississippi tous les week-ends afin de m’y produire dans des juke joints. Chaque vendredi et chaque samedi soir, je jouais inlassablement du blues… Bien sûr, je me débrouillais toujours pour réintégrer l’un de mes groupes le dimanche…afin de chanter du gospel (rires) !

Finalement, tu as toujours souhaité être un musicien…
J’ai commencé à jouer de la guitare alors que je n’étais âgé que de 5 ans. Mon père était un grand musicien et je pense que cette capacité d’apprentissage de la musique est un cadeau de Dieu. Je n’avais que 5 ans lorsque ce frisson m’a parcouru et, depuis, je n’ai jamais arrêté. Je n’ai pas eu besoin d’apprendre, c’est un présent qui s’est imposé à moi. Je m’installais avec mon père et je jouais avec lui. Cela a été mon enseignement…

As-tu eu l’occasion de te produire en public aux côtés de ton père ?
Oui, j’ai eu l’occasion de me produire avec lui, en 1968, lors d’un concert qui s’est déroulé à l’Overton Park Shell à Memphis. Ce parc est l’un des plus anciens de la ville. C’est un endroit où se sont déroulés de nombreux concerts en plein air. A ses débuts, Elvis Presley s’y est également produit. Sinon c’est, principalement, à l’église que j’ai joué avec mon père.

Quand estimes-tu que ta carrière professionnelle a réellement débutée ?
Aux alentours de 2004 ou 2005… Cela a aboutit à l’enregistrement de mon premier album, « You Can’t Hurry God » qui est paru quelques temps plus tard chez Big Legal Mess Records.

Cependant, outre tes prestations en tant que membre de groupes de gospel, je crois que tu as également été le guitariste d’O.V. Wright (célèbre chanteur du Tennessee, notamment apprécié dans un registre soul blues entre le milieu des années 1960 et la fin des années 1970)…
O.V. Wright était également un chanteur de gospel à ses débuts. C’est à cette période, c’est-à-dire en 1963, que nous avons sympathisé alors que j’accompagnais le groupe au sein duquel il se produisait. Deux ans plus tard, il m’a proposé de le suivre en studio pour l’enregistrement de son premier morceau séculier, « You gonna make me cry ». Une chanson dont je suis le guitariste et qui se trouve sur son album « (If It Is) Only For Tonight », paru sur le label Back Beat en 1965.

Au début des années 1970, tu as également été membre de l’ensemble M&N Gospel Singers avec lequel tu as gravé l’album « Where’s The Road That Leads Home ». Peux-tu me parler de cette expérience ?
C’était vraiment un bon groupe ! Je le dis en connaissance de cause car j’en ai connu beaucoup. Son talent était tel qu’il a signé un contrat afin d’enregistrer un album sur le label Delmy Gospel Records… J’en étais le guitariste et le chanteur baryton. Notre bassiste était Russell Walker, notre batteur Earl Biggs, alors que les deux autres chanteurs s’appelaient Otha Roy Herron et Otis Gaines.

Pourquoi, par la suite, as-tu décidé à ton tour de devenir un Révérend. Peux-tu me présenter ta congrégation ?
Oui, elle se situe à Como dans le Mississippi. C’est en me produisant là-bas, avec l’un de mes groupes de gospel, que j’ai reçu un appel de Dieu me demandant de former un Ministère dans cette ville. C’était en 1983 et, dès 1985, je suis devenu Pasteur à la Hunter Chapel. Depuis toutes ces années, j’y officie toujours. Avant sa mort, mon père m’a enseigné tous les rudiments afin de devenir un bon Pasteur. Je veille à toujours en être un.

Est-là que tu as rencontré le grand bluesman, joueur de fifre, Otha Turner ?
Otha Turner était l’un des membres de mon église ! C’est là que nous sommes rentrés en contact. Ses funérailles, qui se sont déroulées à Como, restent un moment très particulier. En effet, sa fille est malheureusement décédée le même jour que lui (le 27 février 2003, nda) des suites d’un cancer. Elle n’était âgée que de 48 ans… Il y a donc eu un service funéraire commun et une grande procession à laquelle se sont joints de nombreuses personnes. Toute la ville et même des gens venus de plus loin étaient là. Cette marche jusqu’au cimetière était conduite par le Drum Band et par le Rising Star Fife. C’est Shardé Thomas, fille et petite fille des disparus, qui en était à la tête et qui jouait du fifre. Elle n’était, alors, âgée que de 13 ans. C’était un moment très émouvant… Avant sa mort Otha Turner était venu me voir afin d’évoquer ses funérailles. Il m’avait alors demandé si j’étais de la famille de Reverend Robert Wilkins. Je lui ai alors appris qu’il s’agissait de mon père. Nous avons sympathisé et il nous est arrivé de jouer un petit peu ensemble. Il m’a même appris à me servir de percussions (rires) !

Le groupe The Como Mamas connait un succès grandissant en Europe. Est-ce que tu en connais bien les membres ?
Oui je les connais et les trois chanteuses qui constituent le groupe (Ester Mae Wilbourn, Della Daniels et Angelia Taylor, nda) se produisent régulièrement dans mon église !

Tes chansons sont porteuses de nombreux messages qui, au final, ne s’adressent pas qu’aux personnes croyantes. Lorsque tu es confronté, comme ici en France, à un public qui ne comprend pas forcément l’anglais, de quelle manière parviens-tu à les transmettre ?
C’est vrai… Pourtant, la nuit dernière (avant sa prestation à Colmar, Reverend John Wilkins et son groupe ont donné un concert à Rouen, le 05 avril 2019, nda) j’ai ressenti une véritable cohésion entre nous et le public. J’espère qu’il en sera de même, cette nuit, à Colmar (rires) !

En arrivant sur le lieu de notre interview. J’ai croisé trois jeunes femmes qui sont tes choristes. S’agit-il de chanteuses issues de la chorale ta congrégation ?
Ces jeunes femmes sont mes filles. Elles chantent et voyagent avec moi !

Ton nouvel album, « Trouble », vient d’être édité. Comment sont élaboration s’est-elle déroulée ?
Il s’agit effectivement de ma nouvelle sortie. Nous avons enregistré ce disque aux Royal Studios de Memphis. C’est Lawrence « Boo » Mitchell, le petit-fils du légendaire créateur du lieu (Willie Mitchell, nda) qui s’est chargé de l’enregistrement. C’est un album dont je suis particulièrement fier car j’estime, en toute modestie, que les chansons qui le constituent sont vraiment réussies.

D’autant plus que l’on y retrouve de fabuleux musiciens de Memphis !
Oui, nous avons tellement de bons musiciens et d’excellents groupes à Memphis, Tennessee... Sur ce disque, en plus de mes trois filles, j’ai la chance d’être accompagné par une rythmique de rêve. Nous y retrouvons le Reverend Charles Hodges à l’orgue. Ce dernier a, notamment, joué avec des personnalités telles que Syl Johnson, Denise LaSalle, Otis Clay, Al Green, Ann Peebles, O.V. Wright, Keith Richards, Robert Cray, Seasick Steve etc…On peut entendre le bassiste, Jimmy Kinnard, sur des disques des Bar-Kays de Lynn White ou Al Green alors que le batteur, Steve Potts, est une véritable légende à lui tout seul. Tu as pu le voir et l’entendre aux côtés de Pops Staples, Al Green, Tony Joe White, Luther Allison, Larry Garner, Irma Thomas, Lucky Peterson, Rufus Thomas, Ike Turner, Neil Young, Shemekia Copeland, Solomon Burke, Crosby Stills Nash & Young, Greg Allman, Booker T. & The MG’s et des dizaines d’autres. Son parcours est, tout simplement, incroyable. Enfin, le guitariste qui participe à l’enregistrement est Kevin Cubbins. Lui aussi peut s’enorgueillir d’un beau parcours…que ce soit auprès de John Paul Keith, John Murry, Alvin Youngblood Hart ou encore Eric Bibb. Avec une telle équipe, il était impossible de réaliser un mauvais disque !

Portes-tu un souhait en particulier pour l’avenir ?
Non, pas vraiment… Je veux simplement continuer mon parcours sur la voie qui est aujourd’hui la mienne. Tu sais, je suis humblement les pas de mon père et j’essaye de faire perdurer cette tradition. Je me sens comme le passeur d’une histoire, d’une culture… J’ai trois filles qui chantent à mes côtés, j’ai un gendre et un petit-fils qui font de la musique. C’est une chose rassurante pour moi, cette aventure familiale qui est en route…et qui n’est pas terminée !

Aux Etats-Unis, actuellement, les générations les plus jeunes sont-elles toujours touchées par le gospel ?
Oui, oui, oui… Les jeunes générations y viennent et savent très bien en jouer ! Dans ce registre on peut, par exemple, trouver de très bons batteurs ou organistes…

Quel ultime message aimerais-tu adresser à ton public français ?
Je veux simplement dire que je souhaite à tout le monde de vivre dans la joie et d’être heureux. Je chante du gospel mélangé à du blues, j’estime ainsi avoir créé mon propre style. J’espère que beaucoup de personnes se retrouveront dans le résultat et qu’elles seront touchées par cette musique. En tout cas, j’éprouve un grand plaisir à l’idée d’être ici en France. J’espère avoir la possibilité de revenir le plus souvent possible…

Il est vrai que dans ta musique le gospel est étroitement lié au blues. Selon toi, est-ce simplement les paroles qui différencient ces deux registres ?
Oui, c’est simplement les mots qui y sont employés qui font la différence. Ce sont toujours les 7 mêmes notes : A B C D E F G (qui en France et quelques autres pays sont traduites par la notation musicale syllabique DO RE MI FA SOL LA SI, nda) qui sont utilisées. De même, c’est la même clef qui est employée dans le blues et le gospel. Il n’y a, vraiment, que les mots qui changent… Puis dans le fond, la manière qu’ont les gens de danser en écoutant ces musiques est aussi sensiblement, différente (rires) !

Remerciements : Olivia Gobilliard-Schreck (Office du Tourisme de Colmar), Amos Harvey, Ananda Garcia et Chantal Vivier (Nueva Onda).

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Interview réalisée au
Festival Musique et Culture - Colmar
le 6 avril 2019

Propos recueillis par

David BAERST

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