Toni Green
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Choriste particulièrement demandée par ses pairs de la scène musicale américaine (Doobie Brothers, Luther Vandross, Dennis Edwards, Betty Wright…), Toni Green est avant tout une chanteuse de rhythm & blues exemplaire qui a baigné dans son idiome de prédilection dès son plus jeune âge. Originaire de Memphis, elle a côtoyé les plus grands (Isaac Hayes et The Bar-Kays en tête) et a fait ses débuts au sein de l’ensemble vocal The Imported Moods. Une poignée de succès ont assis sa notoriété, ainsi que sa fidélité aux racines de la musique afro-américaine. Un genre qu’elle défend toujours avec ardeur sur les scènes du Tennessee et qu’elle parvient à renouveler en compagnie du groupe français Malted Milk. Un album (déjà culte) en est la résultante, « Milk & Green » paru sur le label Nueva Onda. C’est à l’occasion d’une nouvelle tournée européenne du concept franco-américain que cette protégée du légendaire producteur Willie Mitchell m’a accordé l’entretien qui suit. Un moment fort ponctué par la grâce, le charisme et la gentillesse de l’artiste.

Avant d’évoquer ta collaboration avec le groupe Malted Milk, je souhaiterais revenir sur ton impressionnantparcours musical. De quelle manière pourrais-tu le résumer ?
J’ai débuté la musique auprès de mon père (Tommy Lee Green) qui était un chanteur de jazz. J’ai beaucoup écouté sa collection de disques et notamment les enregistrements d’Ella Fitzgerald, de Sarah Vaughan et de tous ces grands artistes. Il me laissait faire bien que je ne devais être âgée que de 3 ou 4 ans…
J’ai, également, été très marquée par 4 de mes cousins qui ont fondé un groupe de gospel au milieu des années 1950. Ce dernier se nommait The Jones Boys etElvritt « Lil‘ June » Hambrick qui était l’un des membres de ce quartet a fondé un autre ensemble en parallèle. Il s’agissait d’un quintet de rhythm & blues qui est devenu très populaire à Memphis, The Knights. C’était vraiment une époque formidable car, en fonction du côté de la rue dans laquelle tu te trouvais, tu pouvais entendre soit du gospel, soit du rhythm & blues. Pour ma part, je pouvais allègrement passer d’un côté à l’autre et je me délectais de tous ces sons. J’ai donc eu la chance de pouvoir écouter, très tôt, tous ces registres différents. Ils ont tous contribué à forger ma personnalité artistique. J’ai tout autant été touchée par les parties de guitares que je pouvais entendre dans les concerts de gospel, que par les timbres de voix magnifiques…66

De quelle manière as-tu travaillé ta voix à tes débuts ?
Au départ j’étais, en fait, une petite fille très curieuse et je voulais toujours être aux côtés de ces garçons qui chantaient et menaient une carrière musicale. Je me délectais de leurs chants a-capella et je me concentrais afin de distinguer les différentes tonalités dans leurs voix. J’ai appris tout cela très tôt, à l’aide de leur musique. J’ai donc commencé en écoutant et, à partir de cela, j’ai développé mon propre style. C’est au collège que je me suis, de plus en plus, prise au jeu en participant à des tremplins pour jeunes talents. A partir de ce moment-là, j’ai su ce que je voulais faire de ma vie.

La scène musicale de Memphis est, comme tout le monde le sait, très riche et éclectique. Est-ce qu’il t’a été facile de t’y imposer ?
A l’époque, nous vivions une période particulièrement faste car tous les plus grands artistes étaient encore parmi nous. Nous avions Isaac Hayes et de nombreux grands chanteurs venaient enregistrer à Memphis, comme Otis Redding qui y avait élu résidence. Bien sûr, mes amis The Bar-Kays étaient de ceux-là. J’ai connu ce groupe alors que j’étais très jeune car ma mère n’hésitait pas à lui proposer de venir répéter à la maison alors qu’il débutait à peine. C’était aussi le cas pour The Mad Lads qui était un ensemble vocal de rhythm and blues absolument fascinant. Je pourrais aussi citer The Temprees. Bref, tout ce beau monde venait chez nous. On y retrouvait, en permanence, une mixité de musiciens et j’étais la seule fille au milieu de ce conglomérat de talents. Ce sont ces rencontres phénoménales qui m’ont permis de me faire connaitre car, lorsque j’ai débuté, j’étais déjà très connue par les professionnels.

Tu as, notamment, collaboré avec le prestigieux producteur Willie Mitchell. Peux-tu me parler des expériences que tu as vécues à ses côtés ?
Il était vraiment très amusant… C’était un homme charmant qui avait une excellente oreille et qui savait toujours où il voulait aller. Pourtant, il avait des allures de garçon désagréable et pouvait passer pour quelqu’un de bourru. Il m’a permis de collaborer avec l’un des auteurs les plus prolifiques de sa génération, Carl Smith. Ce dernier, qui travaillait beaucoup pour la firme Chess, était notamment à l’origine de la chanson « Higher and higher » dont Jackie Wilson avait fait un succès en 1967. Il a, également, écrit pour Fontella Bass et d’autres très grands artistes issus de la scène de Chicago. Ainsi, le tout premier disque que j’ai enregistré a été produit par Willie Mitchell et écrit par Carl Smith. Il s’agissait de la chanson « What have you done with my heart ». Willie était vraiment quelqu’un de très charismatique et de très drôle. Il était d’une perspicacité exemplaire et savait quand et comment faire les choses.

Peut-on dire qu’il a été une sorte de mentor pour toi ?
Il était à la fois un mentor, un exemple de charisme et un homme extrêmement talentueux. Lorsque j’ai commencé à travailler avec lui, j’étais vraiment très jeune. Il a su m’encourager et m’a offert la possibilité de collaborer avec des musiciens exceptionnels qu’il considérait comme ses frères. C’est par son intermédiaire que j’ai pu travailler avec Luther Ingram et Isaac Hayes. Quand nous étions en studio, nous recevions aussi la visite de gens tels que Al Green et de tant d’autres légendes qui enregistraient pour sa maison de disques Hi Records. J’étais, bien sûr, très influencée par ce label mais je l’étais tout autant par Stax Records. Il faut dire que mes cousins, ou encore The Bar-Kays, étaient quant à eux en contrat avec cette firme. Je naviguais en toute quiétude d’un endroit à l’autre, de Hi Records à Stax, c’était le rêve ! Je m’estime très chanceuse d’avoir pu côtoyer tous ces gens et d’avoir vécu de l’intérieur cet âge d’or du rhythm and blues.

Aujourd’hui, tu as l’occasion de travailler avec un autre producteur qui, lui, est français. Il s’agit de Sébastian Danchin. De quelle manière l’as-tu rencontré ?
Sébastian m’a dit un jour, il y a 8 ou 10 ans, qu’il souhaitait travailler avec moi mais qu’il attendait le bon projet pour cela…et ce, depuis 15 ans ! Un jour, il est donc venu me voir à Memphis et m’a dit « Maintenant, j’ai quelque chose pour toi…c’est exactement le projet qu’il te faut, la bonne chose ». Il était très insistant et persuasif. Puis, il est retourné en France et a fait en sorte de me mettre en relation avec l’équipe de Nueva Onda ainsi qu’avec le groupe Malted Milk. C’est ainsi que l’histoire « Milk & Green » a débuté…

As-tu été surprise de son choix de te faire travailler avec un groupe français ?
Oui, j’étais réellementsurprise et je dois avouer que je craignais un peu d’être la cerise sur le gâteau ou le faire-valoir d’un projet franco-français. Cependant, Sébastian a fait en sorte de m’accompagner dans ce travail et surtout de créer un concept qui respecte un équilibre artistique parfait entre Malted Milk et moi-même. Très honnêtement, je n’avais même pas écouté les premières chansons que j’avais reçues. Pourtant, un jour, en roulant j’ai mis le CD dans le lecteur de mon automobile. Je me suis alors écrié « Oh mon Dieu » ! Je me suis rendu compte que ces gars avaient grandi avec la musique au sein de laquelle j’évoluais depuis mon plus jeune âge. Ils sont authentiques et possèdent une grande culture musicale. Ils savent tout sur les gens que j’ai côtoyés à l’époque et avec lesquels j’ai pu jouer. J’ai réalisé, ainsi, que l’on me proposait de travailler avec l’un des groupes de soul et de blues les plus talentueux de sa génération. Ce ne sont pas des imitateurs, ce sont des musiciens qui possèdent ce son en eux ! J’en étais presque choquée et j’ai totalement réévalué ma position. J’ai appelé Sébastian sur-le-champ pour lui dire « Ok, j’aime »…

Comment était l’ambiance en studio, avais-tu beaucoup de liberté ou suivais-tu les consignes à la lettre ?
C’était très différent que ce que j’ai connu dans le passé. Avec Willie Mitchell ou lors d’enregistrements avec le label Stax Records, chacun s’occupait de sa partie. Avec Malted Milk, nous travaillions tous ensemble dans la même direction. Nous étions tous impliqués de la même manière dans la musique, dans le son en général ou dans les chœurs. C’était un véritable travail commun, durant lequel chacun était à l’écoute des autres. C’était assez familial en fait…

As-tu été surprise à l’écoute du résultat final ?
J’ai effectivement été surprise, au point que je n’ai pu retenir mes larmes de couler. L’équipe a, de surcroit, été très affectueuse à mon égard. J’ai essuyé de nombreux remerciements et le groupe m’a dit qu’il avait apprécié de travailler avec moi. C’est une chose très agréable d’être appréciée et il faut parfois prendre le temps de savourer un tel compliment. Tu sais, je suis une noire afro-américaine et j’étais en studio avec ces jeunes blancs français qui m’ont fait preuve du plus profond des respects. C’était une chose très émouvante pour moi et une expérience formidable dans sa globalité. J’espère que ce type d’exemple se reproduira souvent dans l’avenir, c’est ainsi que la musique doit être !

Penses-tu que cette expérience t’a été bénéfique sur un point en particulier ?
Je crois vraiment que cette expérience a été magique et qu’elle le demeure. Quelque-part, je dois aussi admettre qu’elle m’a relancée et qu’elle estpour moi comme une deuxième chance. J’ai pu apprendre mon métier grâce à l’apport de géants de la musique tels qu’Isaac Hayes ou Willie Mitchell. J’ai été la dernière chanteuse qui a enregistré pour ce grand producteur avant son décès. Il a donc été mon premier producteur et j’ai été sa dernière artiste, ce qui prouve qu’il a marqué ma vie à tout jamais. Aujourd’hui, d’être aussi appréciée par le public européen me touche beaucoup. C’est une chose qui est toute aussi forte et profonde que ce que j’ai pu vivre aux Etats-Unis, avec Willie Mitchell.

Au fond de toi, souhaites-tu poursuivre cette collaboration ?
J’aimerais beaucoup, surtout si les gars sont eux aussi d’accord pour continuer avec moi. Il y a beaucoup de bonnes chanteuses sur la place et je ne peux, en aucun cas, être comparée à la formidable Tina Turner qui est pour moi la meilleure de toutes. Mais si moi et les garçons parvenons à maintenir l’énergie qui est la nôtre, nous pourrons continuer à vivre cette belle aventure. Nous avions des choses à nous apporter mutuellement et faire ce disque ensemble a été une chance incroyable. Cela valait le coup d’essayer même sans savoir ce qu’il adviendrait de notre travail par la suite. C’est un peu comme une aventure amoureuse, c’est très romantique et on se sent un peu flotter dans les airs au début. A nous de transformer cette romance en une histoire d’amour durable, qui s’étire sur des années (rires) !

Possèdes-tu, actuellement, ton propre groupe aux USA ?
A Memphis, je travaille avec plusieurs groupes et je continue à bénéficier de l’apport des plus grands musiciens de la ville lorsque je suis en studio. Avec Malted Milk, c’est une chose très spéciale. Ce combo possède sa propre identité que je respecte infiniment. Toni Green est une identité à part. Ensemble, nous sommes parvenus à créer une troisième identité qui n’est propre qu’au concept Malted Milk & Toni Green, elle n’a rien à voir avec les deux autres et avec rien de ce qui s’est fait auparavant.

Quels sont tes souhaits pour l’avenir ?
Mon souhait principal serait d’être une femme respectée, qui puisse continuer à s’épanouir dans sa carrière artistique. J’aimerais continuer, le plus longtemps possible, à me produire sur scène en donnant le meilleur de moi-même et faisant de la bonne musique. J’espère aussi continuer à enregistrer et proposer des disques qui traversent le temps et marquent les esprits à travers les générations. J’aimerais, enfin, que des chaines de télévisions ou des réalisateurs s’intéressent à une autre facette de ma personnalité. J’écris en effet beaucoup et j’aimerais que mes travaux d’écriture inspirent des professionnels du petit ou du grand écran.

Souhaites-tu ajouter quelque-chose en particulier à l’attention de ton public français ?
Dans un premier temps le remercier pour l’opportunité qu’il m’a offerte. Celle m’avoir donné la chance de m’exprimer devant lui et de lui donner ce que j’avais d’enfui au fond de mon cœur. J’espère le revoir souvent. Enfin, j’aimerais dire à toutes celles et ceux qui nous lisent ou qui nous écoutentqu’il faut croire en ses rêves. Il faut mettre toutes les chances de son côté et il faut foncer la tête baisser.Vous pouvez le faire, il faut continuer à le faire et il ne faut jamais s’arrêter. Surtout vous les femmes, go…croyez en vos chances et foncez !

Remerciements : Yohann (Nueva Onda), Tanguy (You Agency), Sébastian Danchin, Benoit Van Kote.

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Interview réalisée
Au Camionneur - Strasbourg
le 14 mars 2016

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

 

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