Zachary Richard
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

 

Quel est votre définition du bayou ?
Un bayou relève d'un terme employé par les indiens pour désigner tout simplement un cours d'eau. Certains bayous sont plus ou moins grands. Ils se classent entre une coulée et une rivière. En fait, une rivière serait comme le Mississippi et la Shafalaya ; et le bayou tel le Bayou Tèche ou le Bayou Vermion. Donc c'est un cours d'eau. Comme le pays est un pays assez exotique par sa végétation, les eaux sont assez troubles. La végétation est très étonnante des deux côtés du cours d'eau, qui ressemble de près à un ruisseau, finalement.

Où sont-ils situés exactement ?
Dans tout le sud-ouest de la Louisiane. Au nord du Golf du Mexique, car des bayous existent au Texas comme en Alabama et en Floride. Ces cours d'eau sont typiques du sud des Etats-Unis.

Quels sont les différences entre le zydéco et la musique cajun ?
Grosso modo, la musique cajun est jouée par les cajuns, lesquels sont à l'origine des européens. La musique zydéco est jouée par les créoles, qui sont des franco-africains. Si on remonte dans le temps vers le début du siècle, on trouve une situation qui ressemble à la création du jazz. Sauf que cela se passait non pas à la Nouvelle Orléans, mais à la campagne à deux cent kilomètres à l'ouest de la Nouvelle Orléans. Et pas avec les cuivres et les instruments de parade, mais avec l'accordéon et le violon. C'est ce qu'on appelait la musique française, tout simplement. Les enregistrements datent des années Trente. Le premier en 1928 : Joe Falcon à La Fayette.
Moi, je suis incapable de distinguer entre la musique des noirs et celle des blancs. C'est-à-dire entre Amédée Breau, un blanc, et Amédée Ardoin qui était noir. Leur façon de jouer l'accordéon, la manière de chanter et de marquer le rythme étaient les mêmes. Ce qui les distinguait et qui a causé la rupture du zydéco et du cajun en deux styles différents est le même événement qui a changé tout pour toujours dans le sud-ouest de la Louisiane. C'est la fin de l'isolement, causé par la deuxième guerre mondiale quand les jeunes, noirs et blancs, sortaient du sud-ouest de la Louisiane pour la première fois. L'isolement était brisé pour toujours.
A la suite de quoi, on a importé des tambours et la batterie. La façon dont l'africain et l'européen s'adressaient à cet instrument était totalement différente. Les cajuns (européens) jouaient sur le temps, tandis que les africains jouaient derrière le temps (sur le backbeat). Tout a changé évidemment. Pour la première fois encore, des influences venaient de l'extérieur de la communauté francophone du sud-ouest de la Louisiane. La musique des noirs, des créoles attirés par le rythm'n blues. Ils ont donc commencé à incorporer des saxophones, le frottoir (une espèce de planche à laver). Tandis que les blancs étaient attirés par la musique contry & western avec le pedal stell guitar, les doubles violons typiques de la musique des américains blancs.
Aujourd'hui, ces deux styles sont raisonnablement différents. Mais si on remonte au tout début, la même graine était plantée. L'accordéon est arrivé au siècle passé, amené assez curieusement par la communauté allemande qui avait émigré en Louisiane après la guerre de Sécession. Il est devenu l'instrument principal des orchestres de danse. A cause de l'irruption de cet instrument, de nouvelles musiques se sont formées. Cinquante ans plus tard, elles sont devenues la musique cajun et le zydéco.

Que représente pour vous la " Highway 61 " ?
" God said his only son : you will find me down on Highway 61 ". Cette chanson, ainsi que tout un tas d'autres, représentent beaucoup pour moi. Dès que Bob Dylan a ramassé une guitare électrique, ma vie a changé comme pour beaucoup d'autres. Pour ma génération, en tout cas. Difficile de réduire Bob Dylan à une seule chanson. Je ne pense pas que je choisirais cette chanson-là, mais cela n'a pas d'importance. Chacun détient " sa " chanson.

Est-ce que la route en elle-même n'est pas aussi un symbole puissamment américain ?
Je me considère personnellement comme un fils spirituel de Jack Kerouac. Ma bible est " Sur la route ". Evidemment, Highway 61 en fait partie, mais cela pourrait être la Route 66, la Highway 90 ou la Interstate 10. L'appellation de la route n'est pas aussi importante que l'idée de voyage. Elle est vraiment fondamentale dans le caractère américain. On est arrivé au bout du continent. Toute l'histoire des américains : des immigrés qui n'ont jamais arrêté d'immigrer. Maintenant, c'est une vraie partie de ping-pong à l'intérieur du pays. Tout le monde ne cesse de déménager et d'aller dans tous les sens. Je suis depuis longtemps un grand voyageur. Je connais la route américaine probablement mieux que tous les autres chemins que j'ai parcourus.
L'idée du voyage, de toujours être en transit, à la recherche de quelque chose ; je crois que c'est fondamental au caractère américain. Enfin à celui de ma génération. C'est ainsi que je perçoit la vie, au travers de la route et du voyage. Que se soit Highway 61, Route 66 ou la highway 90 n'a pas d'importance, mais l'idée de voyager vers quelque part. Pas simplement pour voyager, mais pour chercher quelque chose. Je ne sais pas si on va jamais le trouver.
C'est le rêve américain. Ce n'est pas avoir deux voitures dans le garage et une poule au pot pour le dimanche. Arriver au bout de la route pour y trouver ce que l'on cherche. Le problème est qu'on ne sait pas exactement ce qu'on cherche. Je pense qu'on ne va jamais le trouver. Comme le bouddhisme, finalement. C'est juste la démarche qui compte. Le voyage et Highway 61 font partie de cette mythologie à laquelle on est tous associés.

En tant que poète et songwriter, avez-vous le sentiment d'avoir du mal à vous faire entendre dans le monde actuel ?
On dit auteur-compositeur-interprète ! Mais oui et non. Il est évident qu'on est en dehors de la mode depuis les années soixante-dix en quelque sorte. Depuis le disco, le courant de la danse est ailleurs. Avec le rap, les paroles restent mais l'idée de chanter est devenue autre. Elle corresponds à une vision différente de la société. Avec d'autres priorités, engagements et points de vue. Finalement, la question ne se réduit pas à suivre la mode.
Aux Etats-Unis actuellement, j'observe une renaissance des songwriters en dépit de la radio commerciale. Des gens comme Ellis Poe, et maints autres. C'est une belle période pour les auteurs-compositeurs aux Etats-Unis. Ils ne sont ni dans les Top 10 ni dans les charts. Pourtant on arrive à bien s'exprimer (car je m'associe à ce phénomène) devant un public sensible certains thèmes et certainement plus intelligent. Cela existe malgré le fait qu'on ne vende pas des millions de disques. Je ne pense pas vouloir m'associer à Mickaël Jackson autant qu'à Bruce Springsteen. Le succès de ce genre de choses est très éphémère. De temps en temps, un ou l'autre gagne à la loterie. Bonnie Raitt était la dernière qui me vient à l'esprit.
Je crois que pour moi la qualité de mon métier n'est pas aussi importante en fonction de la vente de disques mais par la beauté des choses que j'exprime. Je suis toujours à la recherche d'une nouvelle chanson, mieux écrite que la dernière. Ça me préoccupe plus que tout. Comme l'histoire bouddhiste du moineau devant un feu de forêt. Il va remplir son bec au ruisseau pour cracher sur le feu. Il n'a aucune chance d'éteindre le feu, mais il fait ça sans réfléchir. Parce que c'est sa nature.
Ma nature est de composer des chansons. Heureusement, il y a assez de monde à travers la planète pour me permettre de continuer à le faire. Voilà finalement la récompense. Le succès est très relatif. Qui peut dire qu'on est plus heureux parce qu'on vends un million de disques par rapport à celui qui en vend dix ? Ce n'est pas du tout certain. Je crois que ce qui est important est de faire du mieux qu'on peut et de s'exprimer pour partager. Voilà ce que je recherche à faire finalement. Evidemment, je le ferais avec la planète entière, mais je ne fait pas pour ça. Avec ma musique, je voudrais partager les émotions, les sentiments, les rêves qui ont inspirés les chansons avec du monde, des êtres humains. A ce niveau-là, ça va bien pour moi.

Le français est-il mort en Louisiane ?
Evidemment pas ! T'as juste à aller en Louisiane pour entendre le français tel qu'il est parlé par les habitants. Sans pour autant être romantique et sentimental. Les illusions de servent à rien. C'est une cause à laquelle je suis vraiment très attaché. Que ce soit une cause perdue ou pas, j'en sais rien. Actuellement, en Louisiane, on est en train de décider si on va effacer le français de notre culture. Cela aurait du être fait depuis cinquante ans. Au vu de l'expérience de mes parents, au travers de écoles publiques de l'état de Louisiane. La philosophie de l'éducation est de supprimer la langue française par l'humiliation publique et la violence physique pratiquée sur des enfants de six et sept ans.
Aujourd'hui en Louisiane, selon le recensement de 1990, on dénombre 250.000 francophones. La grande majorité est composée de gens de plus de soixante ans. Ces gens vont évidemment mourir. Il est curieux de constater que la tranche démographique qui possède le plus grand nombre de francophones, après les plus de soixante ans, est celle des moins de dix ans. Depuis cinq se produit se qu'on qualifie de cours d'immersion. à l'école, les enfants apprennent tous leurs cours en français. C'est assez miraculeux parce qu'au bout de deux ans, ils sont devenus francophones. C'est l'espoir de la francophonie en Louisiane. Sans vouloir dire que cela marchera. De toute façons, il restera en Louisiane toujours une minorité francophone avertie et engagée. La question est : quelle en sera la taille ? Celle d'une minorité mineure ou d'une minorité assez importante ?
Cette question, on est actuellement d'en décider en Louisiane. Les américains sont très favorables à former une communauté bilingue. Pour ses avantages économiques et culturels évidents. Le problème se pose au niveau de l'engagement des conseils scolastiques. Tout va coûter plus cher d'avoir des écoles qui enseignent tout en français, comparativement à l'enseigner comme une langue étrangère. Il y a cinq ans, trois cours d'immersion existaient avec soixante élèves. Aujourd'hui, on en compte vingt, pour cinq mille élèves. Si le phénomène continue à s'amplifier de cette façon-là, la minorité deviendra très importante. Si on décide que cela suffit, en stoppant l'engagement financier, les choses ne changeront pas. Ce que je trouve intéressant, c'est qu'on ne peut pas prévoir l'avenir.
Si tu aurais dit à mes parents, il y a quarante ans : ce garçon-là va chanter en français et faire une carrière en langue française – ils t'auraient traité de fou ! Impossible d'imaginer ce que va penser un enfant francophone d'ici vingt ans ; si jamais il rencontre la même expérience qui m'a secoué et bouleversé – la rencontre avec mon héritage : d'être un peuple déporté. Une fois qu'on a appris l'histoire des Acadiens, étant Acadien nous-mêmes, la culture prends une espèce de revanche vis-à-vis de la déportation qui fait que moi et beaucoup de ma génération sommes très engagés pour la survie de la langue. Finalement, comme mon voisin le poète Jean Arceneaux le disait : on le fait parce qu'on est têtus et qu'on veut les embêter. Voilà.

 

 
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Laiterie de Strasbourg le 22 octobre 1996

Propos recueillis par

Jean-Luc et Eric MULLER

 

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