Zucchero
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Pouvez-vous évoquer votre collaboration avec John Lee Hooker ?

Quand j'ai écris cet album, j'aimais particulièrement cette chanson parce que c'est un titre de blues. Je pensais qu'il pourrais être encore plus intéressant avec une autre voix plus âgée pour faire les chours et tenir la note. J'ai réfléchis à quelques voix " archaïques " du blues et à John Lee Hooker spécifiquement parce qu'il a exactement le genre de voix que je recherchais. Un type de son très sensuel, de même que très bluesy. J'ai donc débuté ma recherche en appelant Eric Clapton qui avait eu des projets avec lui dans le passé. Il m'a dit que John Lee Hooker étais très âgé et qu'il ne savait pas s'il travaillait encore.

Nous sommes ensuite partis à San Francisco pour faire les sessions d'enregistrement. Par une heureuse coïncidence, il se trouve que le propriétaire du studio de South Elito est un vieil ami du guitariste de John Lee Hooker, Roy Rogers, un excellent guitariste de scène. Nous avons appelé Rogers pour l'inviter à une session d'enregistrement, car il figure aussi sur le disque. Je lui ai demandé de jouer le titre en question à John Lee Hooker et de me faire savoir s'il voulais bien chanter avec moi. Il m'a assuré qu'il essayerais parce qu'il adorais la chanson mais qu'il ne savait pas s'il accepterais à cause de son grand âge. Puis j'ai enfin eu une réponse positive !

Un jour ils sont tous arrivés dans le studio dans une énorme limousine noire, avec deux superbes filles. John étais très élégant, âgé mais toujours en grande forme et prêt à s'amuser. Je l'ai trouvé humble et simple lors de l'enregistrement qui a duré une journée entière. Nous avons tout gardé, y compris les soupirs. A la fin, il nous a dit : " Si vous êtes satisfaits, on s'arrête là " (après six ou sept heures passées à chanter). Finalement nous avons séparés les meilleurs moments pour les assembler dans la chanson. En fait il était impossible de dire à John Lee Hooker exactement comment dire la phrase. Il fallait qu'il la dise dans son propre style. Ce qui fait qu'il a essayé de nombreuses fois de manière différente. Chaque fois qu'il répète la phrase, elle sonne autrement. C'est ce que j'admire chez lui : il n'étais jamais prévisible, il ne se répète jamais. Pour moi, cela a été une de mes plus formidables expériences, avec Miles Davis et Ray Charles. Certainement les trois moments culminants de ma carrière.

Quand nous avons fini l'album, je suis rentré à la maison et j'ai lu dans le journal qu'il étais mort. Une très mauvaise nouvelle, donc j'ai décidé de lui dédicacer l'album.

Y a-t-il d'autres personnes avec qui vous voulez collaborer ?

J'ai souvent joué en duo et fait de nombreuses collaborations. En ce moment, il y a toujours des gens avec qui j'aimerais chanter mais plutôt avec une voix féminine. J'apprécie beaucoup Macy Gray par exemple, Mary J Blige. Si cela devais se faire, voilà quels seraient mes choix.

Quels changements a apporté votre dernier album, en comparaison d'avec les autres ?

Celui-ci fait partie de mes meilleurs albums, à mon avis. Parce que je veux en faire la promotion ! Cela fait prêt de neuf ou dix mois qu'il est sorti, en septembre de l'an passé. Il a quasiment un an et il continue à se vendre ! J'ai apprécié la direction amorcée avec ce disque, le son que j'ai produit et les influences qu'il contiens. Ce n'est pas évident de réaliser un album qui comporte de la soul, du blues, du rythm'n blues avec un son qui soit neuf et moderne. C'est particulièrement difficile. Je suis donc heureux que cet album ai autant de bons ingrédients, y compris les mélodies méditerranéennes. Bien entendu, ce sont mes première racines, ma base de travail. En même temps il n'y a rien d'évident à se respecter soi-même avec un son neuf.

Je pense que " Shake ", un titre de cet album, fait un bon exemple de ce que j'essaye de faire. Je me trompe peut-être, qui sais?

Est-il important pour vous d'avoir un son moderne ?

Ce n'est pas essentiel pour être présent dans les radios ou dans les classements. Mais j'aime les expérimentations. Je ne suis pas là pour faire le même vieux blues ou le même vieux rythm'n blues. Non pas que je n'aime plus faire ça, cela reste ma musique préférée. Je ne fais jamais de blues, de rythm'n blues ou de soul de façon classique. J'essaye en permanence de confronter différents sons, de mélanger plusieurs ingrédients. C'est comme cela que je compose mon style, pour me démarquer des autres artistes. Ma musique rassemble diverses influences, pas une en particulier. Quand je commence à réaliser un album, je tente d'expérimenter une nouvelle direction musicale à partir de méthodes passées et de matériel ancien pour les faire fonctionner en harmonie. Je n'essaye pas d'être innovateur ou moderne à tout prix. Je n'aime ni les trucs trop vieux, ni ceux trop récents. Je me situe à un carrefour entre les deux. Par exemple, je sais bien que beaucoup de puristes me diraient que je suis bizarre. Pourtant je sais bien que les solos de guitare ou de saxophone sont passés de mode.

Voilà pourquoi en ce moment, je préfère utiliser une phrase répétitive, une voix d'homme noir marchant sale dans la rue, enregistrée brut de décoffrage, plutôt que d'avoir un solo de guitare : " Boing Doing " qu'on a déjà entendu ailleurs. Je préfère largement une voix profonde, la sampler pour qu'elle accompagne la mélodie : " I'm gonna leave tomorrow now ". C'est toujours une phrase musicale, mais elle sonne différemment. Par exemple, on pourrais  avoir à la place une section de cuivres qui interpréterais la même phrase, ou bien d'autres chours, c'est chaque fois une autre sonorité. Cela reste pourtant la même phrase musicale. Voilà une expérimentation extrêmement facile.

Est-il difficile de passer d'un style à l'autre, du blues à vos inspirations méditerranéennes ?

Cela n'a rien de difficile car j'ai tout le temps fait ça. Comme je l'ai dit avant, je ne suis pas fidèle au blues ou au rythm'n blues. Peut-être au tout début de ma carrière, lorsque je jouais dans un groupe de club, à faire des reprises. Ensuite dès que j'ai commencé à enregistrer des albums, j'ai essayé de définir mon propre style, ma direction personnelle. Cela c'est toujours passé ainsi. Assembler différents influences pour en faire un tout.

Etes-vous d'accord qu'on vous appelle le " Joe Cocker " italien ?

Depuis le début, je suis un très grand fan de Joe, je le connais très bien et nous sommes très amis. Donc cela ne m'ennuie pas, mais ce n'est plus vrai maintenant. A la rigueur à mes débuts, quand il m'a influencé, comme Ray Charles ou Stevie Winwood. Ma manière de faire est totalement différente, à présent. Nous avons probablement des points communs au niveau de la voix, mais notre musique ou les concepts d'albums n'ont rien à voir.

Quelle est la situation de la musique rock en Italie ?

Nous avons de jeunes groupes qui sont très intéressants, très talentueux. Mais en ce moment, ils ont du mal à émerger et à se constituer parce que le marché musical n'est pas très favorable. C'est pareil dans le monde entier. Auparavant, quand j'étais un jeune artiste, j'ai fait un album qui n'a pas bien marché au départ. Ensuite on a investis sur un second disque, ce qui m'a permis de construire ma carrière.

A présent, personne ne veut avancer l'argent pour les jeunes artistes. Il faut avoir du succès dès le premier album. Sinon vous avez des problèmes, à moins d'être très commercial, comme Marc Antonio ou d'autres groupes de pop qui n'ont rien à voir avec le rock. Cela m'inquiète que plus personne de neuf ne puisse surgir dans le rock. Pour devenir un bon musicien, cela prend du temps, surtout si le premier disque ne fonctionne pas.

Que deviendra le rock dans vingt ans, avez-vous peur de ce qui peut arriver ?

J'ai peur mais en même temps j'ai de l'espoir. Pour prendre un exemple, cette année les ventes des disques sont plus basses que les trois années précédentes. Pourtant dans les concerts, la musique ne cesse de s'améliorer. On le voit pour les artistes qui ont l'habitude de jouer en " live ".

Dans le futur, avec l'Internet et tous ces trucs, les ventes d'albums ne vont aller qu'en diminuant mais la musique " live " aura plus de succès. Je me souviens que dans les années soixante, je jouais déjà du saxophone, puis dans les '70, enregistrer était un truc de marchandisage. C'était bon pour Jimi Hendrix, Traffic, Spencer Davis Group et tous ces gens qui vendaient leurs albums lors des concerts et pas dans les magasins. Il n'y avait pas de marché pour leurs albums. Le plus important était de jouer en concert. L'album venait ensuite, en option. Je pense qu'on se dirige vers cette direction.

La musique " live " ne pourra jamais être copiée.

 

 
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le 12 août 2002 à la

Foire aux Vins de Colmar

Propos recueillis par

Eric MULLER & David BAERST

 

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