Nda : Depuis la sortie de son premier album « Ternaire Madness » en 1997, l’actualité de Greg Zlap a toujours été mise à l’honneur dans Route 66.
Cette émission et la carrière du chanteur-harmoniciste sont, en effet, étroitement liées…
A l’occasion de la sortie de la bande dessinée « Harmonijka » (voir reportage ICI), retraçant le parcours de ce dernier, il m’a semblé normal de lui consacrer un nouvel entretien (le troisième transcrit sur ce site).
Une interview qui s’est déroulée dans des conditions on ne peut plus confortables, dans les coulisses de l’ultime date de la première partie de la tournée 2012 de Johnny Hallyday (tout cela sous le regard bienveillant de la chanteuse américaine Amy Keys et avec, en accompagnement sonore, la section de cuivre The Vine Street Horns s’échauffant dans une loge voisine).
Un instant de « travail » (qui, pour tout avouer, a rapidement cédé la place à des moments bien plus décontractés) que je me fais une joie de partager ici.
Greg, on s’attendait à une année 2012 particulièrement chargée pour toi. Pourtant, tu arrives encore à nous surprendre puisque, depuis peu, on te retrouve sur les étals des libraires à travers une bande dessinée qui relate ton parcours (« Harmonijka », aux éditions Glénat). Est-ce que tu peux revenir sur la manière dont cette idée t’est venue ?
En fait, j’avais en tête l’idée de faire une bande dessinée depuis un certain temps. Simplement ce n’est pas celle à laquelle je pensais qui est sortie.
En 2009, lors d’un concert avec Johnny Hallyday à Bruxelles, j’ai fait la connaissance d’un responsable de chez Glénat. Je souhaitais le rencontrer afin de lui évoquer l’ouvrage sur lequel j’envisageais de commencer à travailler. Ce dernier devait être consacré à l’harmoniciste Little Walter, qui est l’un de mes maîtres.
Pour cette BD, je m’étais associé à un dessinateur (également harmoniciste) et je devais me charger du scénario. J’en ai donc parlé à l’éditeur avec beaucoup d’enthousiasme.
Il m’a très gentiment écouté..
Puis, il a assisté au concert de Johnny et m’a rappelé peu de temps après. Il m’a alors annoncé qu’après l’avoir évoqué avec son boss, il estimait que le récit de l’harmoniciste ne « passait pas » (l’action se déroulant aux USA etc…). Cependant, dans la foulée, il m’a dit qu’il avait été touché par mon propre parcours. Celui d’un gamin, né à Varsovie et passionné par un instrument aussi désuet que l’harmonica, qui se retrouve aux côtés de Johnny dans un show incroyable. Il a ajouté « Je trouve que c’est une bonne histoire, si vous êtes d’accord… on va la mettre en images ». C’est de cette manière que tout est arrivé…
Connaissait-il déjà, dans les grandes lignes, ton cursus atypique et le fait que le régime polonais de l’époque t’avait destiné à devenir pianiste concertiste ?
Il ne savait rien du tout…
Il a monté une équipe, au sein de laquelle il a choisi un dessinateur polonais (Miras, nda).
Ce dernier a, un peu près, mon âge… il a donc vécu les mêmes choses que moi en Pologne. Il a aussi demandé à un scénariste bien connu, Philippe Charlot (qui est également musicien), de participer à cette aventure en travaillant sur l’histoire à mes côtés.
J’ai beaucoup échangé avec Philippe Charlot, je lui racontais des anecdotes de ma vie et il en a fait l’histoire qui constitue la bande dessinée. Par contre, l’éditeur ne connaissait en rien ce côté surprenant de mon parcours.
Encore aujourd’hui, quand j’y repense, je me dis que c’était vraiment une époque « étonnante ».
Avant de travailler avec lui, connaissais-tu déjà le dessinateur polonais Miras, ne serait-ce que de réputation ?
Je ne le connaissais pas du tout…
Par contre, en apprenant que nous allions travailler ensemble, je suis tout de suite allé voir ses dessins.
J’ai immédiatement adoré ce qu’il fait…
Grâce à cette BD, j’ai découvert les coulisses du « 9ème art ». C’est un univers que j’adore…
Je suis un grand fan de dessin et j’aurais beaucoup aimé devenir dessinateur moi-même. Si je n’avais pas fait une carrière d’harmoniciste, c’est peut être la profession que j’aurais embrassée.
Ceci dit, je ne connaissais pas le métier en général et le monde de l’édition en particulier.
J’ai beaucoup appris et j’ai vu comment cela se passe quand un dessinateur se met au service d’une histoire. La manière dont il adapte son style… les dialogues entre dessinateur, éditeur et scénariste.
C’est vraiment une chose très intéressante…
En tant qu’amateur de bandes dessinées, quelles sont tes références en la matière ?
C’est également un milieu qui a emprunté au blues, beaucoup de ces livres ont été consacrés à cette musique…
Je connais très bien la série « BD Blues » (découlant de la collection « BD Jazz » éditée il y a quelques années par Nocturne, nda) dont quelques volumes ont été consacrés des artistes tels que Sonny Terry & Brownie McGhee (par Eric Cartier), Charley Patton (par Robert Crumb), Muddy Waters (par René Hausman) etc…
Au départ, c’est pour cette collection que je souhaitais concrétiser ma BD sur Little Walter.
Je trouve ce concept très intéressant puisqu’il fait le lien entre la bande dessinée, la musique (il y a des CD dans chaque volume) et les artistes…
De manière plus générale, c’est un mode d’expression qui me touche beaucoup car il y a du dessin… ce qui me fait beaucoup penser au cinéma.
C’est, en quelque sorte, un cinéma avec des images fixes qui laisse beaucoup de place à l’imagination. Quand on lit un livre on imagine les scènes, le son, les odeurs et le visuel…
Ce visuel, comme au cinéma, on l’a dans la BD… même s’il faut imaginer tout le reste, ce qui est quelque chose que j’aime beaucoup.
Quels sont tes auteurs préférés ?
J’ai lu beaucoup de BD de science fiction et, de ce fait, suis un admirateur de Bilal pour ne citer que lui.
Dans un autre registre, j’adore Tardi…
Puis, j’ai évidement grandi avec des BD polonaises (rires) !
Ce sont des auteurs qui ne sont pas connus, à l’exception de Rosinski qui rencontre beaucoup de succès grâce à la série Thorgal. C’est quelqu’un qui a commencé sa carrière en Pologne. Je me souviens très bien des petits cahiers de BD qu’il dessinait !
Peux-tu me parler de ton travail aux côtés de Philippe Charlot et de Miras. Vous voyiez vous souvent, de quelle manière échangiez vous ?
Notre travail s’est déroulé en plusieurs phases. Dans un premier temps j’ai vu les dessins de Miras, puis nous sommes rentrés en contacts ensemble afin de faire connaissance et d’évoquer nos goûts communs.
Par la suite, il s’agissait plus d’un dialogue entre l’éditeur et le dessinateur…
Avec Philippe Charlot, par contre, j’ai eu un long entretien. Il m’a posé des questions sur ma vie et a enregistré des heures de conversation, consacrée à mon histoire.
Il m’a également demandé d’écrire des anecdotes. J’ai donc couché sur papier toutes ces choses qui me venaient en tête (sur la réalité de la vie en Pologne, sur mon arrivée en France, mes premières impressions sur ce pays, ce qui m’a frappé en premier lieu ici, mes anecdotes de musicien etc…).
Il faut dire que « Harmonijka » raconte les coulisses d’un concert, en l’occurrence un grand show avec Johnny Hallyday, mais elle évoque surtout les coulisses de la vie d’un musicien.
Après avoir terminé de raconter ces histoires et anecdotes, Philippe Charlot a imaginé tout un scénario autour de cela.
Je trouve qu’il a fait ça d’une manière très intelligente et délicate. Le tout d’une manière à laquelle je n’aurais jamais pensé. C’est moi qui ai vécu les choses, donc je n’ai pas du tout la distance nécessaire et je n’aurais pas su mettre mon passé au service d’une histoire.
Philippe Charlot a réussi à en faire quelque chose d’universel, qui parle d’une relation entre un père et un fils, de la musique, de la vie de musicien, d’avoir un rêve et d’y arriver…
Ce sont des sujets dans lesquels je me retrouve lorsque je lis la BD. Je trouve que c’est fidèle à ce que j’ai vécu…
Miras, quant à lui, a adapté son dessin (après des discussions avec l’éditeur) et l’a fait dans un style épuré (avec des aplats) se rapprochant de l’école belge (la ligne claire).
Cela donne un côté années 50 et un aspect assez léger au résultat final.
Nous avons aussi eu une discussion sur la ressemblance des personnages, puisqu’on retrouve pas mal de personnes que l’on peut reconnaître (notamment parmi les musiciens qui ont participé au « Tour 66 » de Johnny en 2009). Il a vraiment réalisé un vrai travail là-dessus. Y compris en ce qui me concerne..
Au bout d’un moment tout m’a échappé et c’est vraiment devenu une histoire de Philippe Charlot et la BD de Miras. La suite a pris vie sans moi…
Il y a une chose qui me touche particulièrement dans cet ouvrage… A savoir la relation que tu as pu avoir avec la solitude dans ta prime jeunesse, face à un régime qui te dictait ton propre avenir. Le fait de revenir sur ces épisodes de ta vie a-t-il été douloureux ou est-ce qu’au contraire tu t’en es servi comme d’un exutoire ?
A l’époque des faits tout cela me paraissait normal…
Aujourd’hui, quand je regarde en arrière, je me dis que c’est vraiment dingue qu’une commission passe dans une école maternelle afin d’auditionner tous les gamins en les faisant jouer des notes et chanter.
Après, les parents recevaient un courrier leur apprenant quel serait l’avenir artistiques de leurs enfants. En ce qui me concerne, comme j’avais une bonne oreille, c’était de faire du piano.
Ainsi je me suis retrouvé dans une école de musique, obligé de m’exercer sur cet instrument (mes parents m’en ont acheté un)… C’était tout un « truc » dans lequel j’ai été propulsé sans vraiment le vouloir.
Tout cela s’est arrêté car je ne voulais pas continuer…
Le plus étonnant, c’est que c’était mon premier contact avec la musique. Après cette expérience j’aurais pu tout arrêter…
En Pologne, j’avais l’impression que la musique était réservée à certaines élites (il n’y avait pas de circuit blues et de bars dans lesquels on pouvait jouer… chose que j’ai découverte plus tard en France). Donc, pour être musicien là-bas, il aurait fallu suivre tout le cursus…
Un vrai parcours du combattant passant par les écoles afin de finir concertiste. Si on n’y parvenait pas, on ne pouvait pas se rattraper via une solution intermédiaire.
De ce fait, je ne me voyais pas devenir musicien. D’ailleurs, personne ne jouait d’un instrument dans ma famille. Je n’avais rien pour le devenir…
D’autant plus que, plus tard, j’ai « accroché » sur l’harmonica qui n’est pas un instrument « avec lequel on fait sa vie » (rires).
Au final je me retrouve aujourd’hui harmoniciste professionnel et très heureux que la musique soit mon métier.
Tu as enregistré deux titres inédits afin d’appuyer, de manière sonore, la sortie du livre. Aimerais-tu aller plus loin dans cette démarche et sortir un CD complet, inspiré de la BD ?
Comme, évidement, je « m’emballe » très vite, j’avais envie d’apporter une bande originale à cette BD.
J’étais prêt à faire un double album mais, finalement, j’ai fait deux titres dont « Harmonijka » (assez touchant avec un thème récurrent à l’harmonica) qui revient sur le premier passage du livre (avec des notes de piano puis d‘harmonica qui évoquent une évolution rappellant, au passage, la progression de l‘histoire). L’autre morceau « Mr B » illustre la rencontre avec Jean-Jacques Milteau qui est mon père spirituel dans le monde la musique.
Mon premier face à face avec ce dernier a été traité de manière très originale dans la BD.
Jean-Jacques lui-même m’a dit « merci pour l’hommage mafieux et médiéval que tu m’as rendu » (rires).
Il faut dire que l’action se passe dans un château moyenâgeux, dans une ambiance de chevaliers…
Il y a un passage durant lequel je suis admis dans le « cercle de la mafia des harmonicistes » , c’est le moment « polar » de l’ouvrage !
Du coup, j’ai fait un morceau avec Jean-Jacques qui a accepté de se prêter au jeu.
Ce titre est plus « rugueux », il évoque la relation avec le blues. Il n’y a que des harmonicas et ma voix.
Pour l’instant, je m’arrête à ces deux chansons…
Elles sont sorties en format digital et sont disponibles sur toutes les plateformes de téléchargement légal.
Fort de ce premier succès dans le monde de la BD, penses-tu pouvoir réussir à « vendre » d’autres concepts dans cet univers (et pourquoi pas imposer l’ouvrage sur Little Walter) ?
J’aimerais bien, mais encore faut-il que ce soit un succès. Il est encore un peu tôt pour en parler…
Ceci dit, tout cela me donne plein d’idées…
Je sais aussi maintenant que le fait de faire une BD est une chose de très longue qui demande beaucoup plus de travail que je ne l’imaginais (près de trois ans pour « Harmonijka »).
Quand on voit des dessinateurs en pleine action, cela semble très rapide alors que cet art est très « chronovore » (rires). Si je m’embarque dans un nouveau projet, je sais maintenant qu’il me faudra prévoir du temps.
C’est un gros morceau mais, effectivement, j’aimerais beaucoup finaliser mon idée se rapportant à Little Walter. Peut être que cela se fera…
Cette aventure m’a aussi donné l’envie de mêler le dessin et le live.
J’aimerais bien donner des concerts en présence d’un dessinateur et organiser une exposition à la suite desdits shows…
J’aime beaucoup le mélange des arts, donc je vais sûrement trouver quelque chose qui ira dans ce sens…
Tu avais mis à profit, lors de la tournée 2009 de Johnny, le temps passé sur la route et à l’hôtel afin de composer en partie ton album « Air » (édité par Le Chant du Monde - distribution Harmonia Mundi). Procèdes-tu de la même façon sur cette tournée 2012 ? Travailles-tu beaucoup en dehors de ces concerts ?
Pour l’instant je réfléchi…
Cette première partie de tournée était très intense et la deuxième (à compter du 04 octobre 2012) le sera encore davantage.
Je n’ai pas vraiment trouvé le temps de me « libérer » que dans ce but.
Je pense que la sortie de la BD y est aussi pour quelque chose (entre la promotion, la découverte du monde de l’édition), c’est quelque chose de très prenant !
Durant cette entretien nous avons abordé certaines de tes nombreuses facettes. Nous avons, cependant, omis de dire que tu es le fondateur d’une école d’harmonica à Paris. Certains de tes élèves, comme Rachelle Plas par exemple, commencent déjà à se faire un nom dans le milieu musical. Cela doit être quelque chose de très gratifiant pour toi…
Oui, d’ailleurs je trouve que donner des cours est le meilleur moyen pour garder les pieds sur terre.
J’aime beaucoup cela, partager nos visions respectives des choses et enseigner. C’est quelque chose qui me plait…
J’ai ouvert cet école il y a plus de dix ans et j’ai eu beaucoup d’élèves. Ne pouvant plus y consacrer trop de temps, j’ai passé la main à d’autres professeurs. Je suis heureux de constater qu’il y a plusieurs harmonicistes, parmi ceux qui ont pris des cours avec moi, qui sont maintenant devenus professionnels.
J’en suis très flatté…
En ce qui concerne Rachelle notamment… C’est une petite jeune qui a décidé de devenir musicienne il y a peu de temps. C’est très touchant car je me revois au moment où j’ai pris cette décision.
C’est toujours quelque chose de très fort. Il faut beaucoup de confiance en soit et d’amour de la musique pour se dire « Ok, j’abandonne tout et je fais ça ! ».
C’est génial de voir que des jeunes osent encore réaliser leurs rêves…
Est-ce que tu as une conclusion à ajouter ?
Ce soir nous allons donner le dernier concert de la première partie du Tour 2012-2013 de Johnny…
D’un côté je suis content, car cela annonce les vacances. D’un autre côté, comme nous formons une petite famille, tous les gens avec lesquels je partage la route et la scène vont beaucoup me manquer jusqu’à la rentrée.
Je vais donc me préparer pour la suite, car cette tournée mobilise beaucoup d’énergie…
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