Nda : Gratifié, à juste titre, d’une Victoire du Jazz en 2017 (en tant que « Voix de l’Année ») Hugh Coltman continue d’explorer les multiples possibilités que nous offrent les musiques afro-américaines. Après le blues-rock (au sein de son mythique groupe The Hoax), le jazz (notamment aux côtés du pianiste Eric Legnini), c’est aux sons des musiques issues de la Nouvelle-Orléans que le chanteur anglais s’est frotté sur son album « Who’s Happy ? » (Okeh, 2018). Un disque, sur lequel il a étroitement collaboré avec le guitariste Freddy Koella (Bob Dylan, Willy DeVille, Zachary Richard, K.D Lang, Dr. John…), qui lui permet aujourd’hui non seulement de conserver son aura…mais aussi de continuer à gagner en stature et en crédibilité. Riche de ce succès critique et public, l’artiste a repris la route en étant accompagné par un groupe aussi soudé que talentueux. Soutenue par une superbe scénographie, la troupe embarque ainsi les spectateurs pour un voyage durant lequel tous les sens sont mis en éveil. Entre éblouissements sonores, chocs visuels et odeurs du bayou, Hugh Coltman semble s’épanouir comme jamais. C’est dire si, pour l’entretien qui suit (voir le précédent, réalisé en 2013, ICI), je tenais à revenir sur ses pérégrinations au pays de Kid Ory et de Professor Longhair. Voici, en teneur, le reflet de ses propos…aussi passionnants que passionnés.
Hugh, tu as déclaré que la série télévisée Treme constitue l’un des déclencheurs t’ayant donné l’envie d’enregistrer à NewOrleans. As-tu été aussi touché par les conditions de vie des louisianais de l’après Katrina que par leur musique ?
Cela m’a, évidemment, touché… Quand on arrive dans ce pays qui est, pour moi, un pays de rêve…on est toujours surpris par certaines choses que l’on peut y découvrir. Je me souviens, par exemple, de certains « déséquilibres » entre les différentes personnes que j’ai pu y croiser. C’est une chose qui m’a beaucoup marqué. Bien sûr, lorsque l’on se rend dans un endroit on a toujours une image en tête de ce dernier. Forcément, une fois sur place, on se rend compte que cette dernière est relativement éloignée de la réalité. De ce fait, on prend un coup…c’est assez dur !
A quand remonte ton appréciation de l’œuvre musicale du chanteur Charles Sheffield qui a été, semble-t-il, l’une de tes inspirations lors de la conception de l’album « Who’s Happy ? » ?
Il y a un petit café à côté de chez moi. Beaucoup de bonne musique y est diffusée… C’est là que j’ai entendu le morceau « It’s your voodoo working ». Je l’ai évoqué avec le guitariste Freddy Koella qui a réalisé le disque à mes côtés. Nous avons souhaité l’intégrer à nos propres compositions et le faire apparaitre sur l’album. Charles Sheffield habitait à moins de 20 kilomètres de l’endroit où se sont déroulées les sessions. La version originale de la chanson est vraiment fabuleuse !
La musique de New Orleans est, bien sûr, marquée par un fort métissage sonore. Après avoir abordé le blues rock avec ton groupe The Hoax, puis le jazz avec ton album hommage à Nat King Cole, étais-tu à la recherche d’une certaine ouverture musicale…voire d’un peu plus de liberté en te rendant là-bas ?
Non, je pense que c’était simplement un « kif ». Il est vrai que les musiques de Dr. John, d’Allen Toussaint ou de James Booker m’ont toujours été familières…je les ai toujours écoutées. Il arrive un moment où il faut faire ce dont nous avons envie. Dans ce sens, on peut dire que ce disque a été une forme de libération. J’avais une idée précise du son que je voulais obtenir. Avec Freddy Koella, qui a produit le disque, je savais que j’avais avec moi la bonne personne pour parvenir à mon but. Il a vécu en Louisiane pendant plus de 10 ans. De mon côté, j’y suis presque arrivé en « touriste » en ayant pour but de coller des cuivres partout. Il m’a, alors, raisonné, en me disant qu’il ne fallait pas que je fasse une sorte de « carte postale sonore ». Cette réflexion m’a aidé réalisé quelque chose de plus personnel et à avoir confiance en mes propres morceaux. Il ne fallait pas que le résultat final sonne comme un grand pastiche.
Quel a été ton premier ressenti lorsque tu as posé les pieds à la Nouvelle-Orléans ?
Je m’y étais rendu quelques mois avant l’enregistrement, afin d’y rencontrer quelques musiciens et de voir le studio. La première chose qui m’a surpris en arrivant, c’est la chaleur ambiante et l’humidité qui y règne. Ce climat se ressent dans la musique locale. Il est caractérisé par une forme de nonchalance, ce fait de ralentir…ce que l’on appelle « slowpe » en anglais. C’est une chose liée à ces températures et à cette humidité. Un fait qui n’a, en rien, entravé mon enthousiasme et mon excitation d’être sur place.
Je crois que c’est durant les sessions de ton album « Shadows : Songs Of Nat King Cole » (Okeh, 2015) que tu as rencontré Freddy Koella. Peux-tu évoquer ton premier contact avec celui qui allait devenir le coréalisateur de « Who’s Happy ? » ?
C’est mon batteur, Raphaël Chassin, qui m’avait fait écouter les deux albums de Freddy (« Minimal » et « Undone », nda), dont le dernier en date est paru chez Tôt Ou Tard. J’ai, immédiatement, souhaité travailler avec lui. Ayant un ami qui travaille pour ce label, la prise de contact a été très simple. Il a envoyé un e-mail à Freddy et j’ai commencé à communiquer avec lui via Skype. Nous avons parlé musique… Tout a été très fluide et très simple.
En travaillant avec lui à New Orleans, souhaitais-tu qu’il te guide sur les pas de Zachary Richard ou de Willy DeVille avec lesquels il a travaillé ou, au contraire, souhaitiez-vous vous démarquer ensemble de ce qu’il a pu faire auparavant ?
A vrai dire, avant de travailler avec Freddy, j’avais écouté ses albums enregistrés sous son propre nom mais je ne connaissais pas quelqu’un comme Zachary Richard. D’ailleurs, j’ai préféré ne pas écouter les collaborations que Freddy a pu avoir auparavant. Ceci parce que je souhaitais exactement ce que Freddy avait fait sur ses propres disques. J’y ai adoré cette manière de jouer de la guitare et cette réflexion par rapport à l’ensemble des sonorités. De plus, je préférais être « frais » avant de le rencontrer, sans être influencé par des travaux qu’il aurait pu réaliser dans le passé avec d’autres chanteurs. Je suis arrivé avec mes petites chansons puis nous avons bossé dessus, ensemble, dans ma cuisine. Au final, c’est comme cela que nous avons établi notre respect mutuel. Une manière de travailler qui a trouvé tout son sens lorsque nous nous sommes retrouvés en studio. Si j’avais quelque chose à dire, je le disais et vice-versa. Nous nous sommes épaulés, c’était superbe !
Le choix des musiciens qui sont présents sur le disque est-il le fruit d’une décision commune ou est-ce Freddy qui s’est davantage occupé du casting à New Orleans ?
J’avais quelques idées en tête mais, plus je travaillais avec Freddy, plus il me faisait bénéficier de ses contacts. Donc, là aussi, cela s’est fait en binôme…dans une parfaite ambiance.
Le fait de te rendre dans un état aussi lié à la vie (quelle soit joyeuse ou douloureuse), afin d’y signer un album si personnel, était-il une évidence en ce qui te concerne ?
Quand j’écris une chanson, je commence par la mélodie. Puis, je réfléchis au thème que je souhaite évoquer et développer. Une phrase peut me passer dans la tête, ou je peux trouver une idée en ouvrant un livre… Je me suis demandé si je ne me dévoilais pas de trop pour une seule chanson. Il s’agit de celle durant laquelle je parle de la maladie de mon père (à savoir « All slips away », nda). Ce dernier est atteint d’une forme de démence, de maladie d’Alzheimer… Une chose diagnostiquée il y a 3 ou 4 ans. Puis, je me suis dit que le métier que je fais doit me permettre de mettre en mots des faits qui me touchent. Sinon, je ne vois pas pourquoi je le ferais…
Un grand pianiste anglais, Jon Cleary, est devenu l’un des musiciens les plus en vue de la Nouvelle-Orléans depuis qu’il s’y est installé. Le connais-tu et, si oui, as-tu déjà eu l’occasion de le rencontrer ?
Je l’ai rencontré lorsque je m’y suis rendu pour la première fois. J’ai un ami qui vit sur place et qui, de ce fait, le connait bien. Au départ, je pensais même bosser avec lui sur mon disque mais nos calendriers respectifs ne nous ont pas permis de concrétiser la chose. De plus, Freddy m’a conseillé de faire appel à Dave Torkanowsky, qui a collaboré avec tout ce que les Etats-Unis comptent de pointures (de Solomon Burke à Maria Muldaur, en passant par les Neville Brothers, Snooks Eaglin, Junior Wells, Al Jarreau, The Blind Boys Of Alabama, Irma Thomas, Bobby Rush, Zachary Richard…). L’avoir à mes côtés était une chose fabuleuse !
Pourquoi as-tu choisi le titre « Who’s Happy ? » pour cet album ?
Je n’avais pas d’idée concernant le nom à donner à cet album… Nous avons bossé sur ces chansons et nous étions contents du résultat, puis la question de la pochette et du titre est venue à moi. Un soir, j’ai eu une conversation avec un ami. La nuit était avancée et nous étions tous les deux relativement alcoolisés. A un moment, il m’a demandé si j’étais heureux et je lui ai répondu « Who’s fucking happy ? ». Cela nous a fait rire… Je trouve ce titre intéressant car j’en suis à une étape de ma vie où je ne m’attends plus à rêver. A mon âge, on s’attend juste à trouver un équilibre ou une forme de solidité…et à prendre assez de recul pour rire de nos moments difficiles. J’ai 46 ans et, comme tout un chacun, j’en viens à faire un bilan de ma vie…avec ses réussites et ses échecs.
En finalité, comment considères-tu cet album qui constitue l’une des pépites de ta discographie. Quelle place tient-il au sein de celle-ci ?
Honnêtement, depuis que je fais de la musique…je n’écoute jamais mes albums à partir du moment où ils sont terminés. Il m’arrive tout juste de retomber dessus, par hasard, 3 ou 4 ans plus tard. Celui-ci, je l’ai fait écouter à mes amis lors de soirées à la maison. Là, j’ai remarqué que je n’avais pas cette sensation de « mal être » en le redécouvrent. C’est peut être lié à l’âge, mais aussi au fait que cet album est la résultante d’un vrai partage entre toute une équipe. Qu’il s’agisse de Freddy, de Raphaël Chassin ou de tous les musiciens qui ont participé à cette aventure. J’avais fait des maquettes très dépouillées, simplement avec une guitare et ma voix. Il y avait donc beaucoup de place pour que tous les intervenants puissent s’exprimer. Si j’avais eu d’autres musiciens, le résultat n’aurait pas été le même. Ce n’est pas que mon album, seuls les titres m’appartiennent. C’est, avant tout, un projet collectif car chacun y a mis de son âme… J’en suis très fier !
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