Jackson MacKay
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

Nda : Relatant le chaos total de l’univers, la confrontation des générations, des questions existentielles (sommes-nous au bon endroit à faire les bonnes choses ?), le diable et le mal (dont il faut se préserver) qui sommeillent partout, Living On The Edge Of The Word est probablement l’album le plus abouti de la déjà longue carrière de Jackson MacKay. Résultant d’une rencontre entre la poésie et une musique folk aussi mélodique qu’élaborée, le disque sonne comme une échappatoire à un monde qui croule sous le poids de la bêtise humaine. Face à un tel résultat, il était plus que nécessaire de retrouver son auteur pour un nouvel entretien. Une occasion en or pour se replonger avec délectation au cœur de certaines valeurs. Celles qui nous font encore croire en la vie…66

Quels sont les travaux musicaux sur lesquels tu as pu intervenir ces dernières années, en particulier depuis ta précédente venue dans l’émission le 9 décembre 2009 (voir lien ICI) ?
Il y en a eu beaucoup… En ce qui concerne l’actualité la plus brulante, je suis actuellement membre d’un groupe qui s’appelle The European Union Band. Ce dernier regroupe les meilleurs spécialistes de la country music européenne. Il accompagne des artistes américains lorsqu’ils se produisent sur notre continent. Ainsi, nous avons bossé avec Buddy Jewell, Darryl Worley, Michael Peterson, Trent Willmon etc. Des gens, le plus souvent, originaires de Nashville…qui sont très heureux d’être accompagnés par un ensemble de musiciens tel que le notre !

De quelle manière ton nouvel album, Living On The Edge Of The World, est-il né. A-t-il été facile pour toi de te dégager le temps nécessaire à son élaboration ?
Certains des morceaux qui constituent ce disque sont écrits depuis pas mal de temps. En fait, je n’arrête jamais d’écrire… Récemment, je suis parti en voyage aux quatre coins du monde. Au Brésil, par exemple, j’ai pris le temps de lire de belles choses. Ainsi, j’ai redécouvert Walt Whitman ou, tout bêtement, Arthur Rimbaud. J’ai, également, fait un tour en moto en Inde. J’adore la manière dont les gens font de la musique dans ce pays. Ils sont indiens, ils possèdent leur propre style, respectent leurs racines…mais sans se fixer des frontières. Lorsqu’ils abordent des registres modernes, ils n’oublient pas d’où ils viennent. Tout est dedans, c’est un peu comme les épices. A mon retour, je me suis senti prêt… Je savais que mes racines se trouvent dans la country music et la folk. Faisant plein de choses différentes dans ma vie, je voulais « garder les portent ouvertes » et me laisser aller. Je ne tenais pas à me trouver dans les couplets-refrains habituels. Du coup, je change de rythmes, d’atmosphères et j’aborde des sujets plus sérieux.

Résulte-t-il de ces voyages un changement ou une prise de conscience spirituelle ? 
Tu sais, je vieillis (rires) ! Je n’ai de comptes à rendre à personne. Il n’y a pas de maison de disques derrière moi et je peux monter sur scène quand je le veux…au gré de mes envies. C’est un luxe…

Ce disque tranche dans ta production. Il est très attaché à tes derniers voyages. Considères-tu qu’il est vraiment à ton image ? 
On y est presque… Il est, en effet, très proche de ce que j’ai en tête. Cet album m’a déjà donné un élan afin d’en réaliser un autre d’ici quelques mois. J’ai envie de compléter cette histoire et d’aller plus au fond des choses.

Il possède une sonorité très différente par rapport à celles propres à tes précédentes productions. La musique folk traditionnelle y est moins présente. Où as-tu puisé ton inspiration pour ce disque ?
Je suis un grand amoureux de la musique californienne des années 1970 et 1980… Cela se reflète dans plusieurs titres. J’ai, également, toujours aimé un gars qui s’appelle Gino Vannelli (auteur-compositeur et interprète québécois) qui possède un style très « californien » mais qui reste ouvert à toutes sortes de choses.

Ne crains-tu pas que cette « prise de risques musicale » déroute ton public habituel ?
Je ne crois pas… Le public vieillit avec moi et il aime la musique américaine en général. Il n’est pas arrêté à la country music. Je vois plein de groupes qui s’efforcent de jouer les mêmes choses. Ce qui, au final, embête tout le monde. Lorsqu’on vient avec quelque chose de nouveau…on retrouve un certain intérêt. Les gens sont touchés par ces sonorités, ces mélodies, ces nouveaux accords…  C’est cela qui plait !

Je crois me souvenir que, durant ta jeunesse, tu étais à la fois fan de Don Williams et du groupe Poco. Vers laquelle de ces écoles musicales te positionnes-tu le plus à l’heure actuelle ? 
J’ai été très influencé par les deux ou trois derniers albums de Don Williams. Le fait de parvenir à une telle qualité est une chose extraordinaire…  C’est quelqu’un qui a vieillit dans son jus, il est parfait… Le groupe Poco est, à mon avis, trop ignoré dans le monde de la musique…en tout cas en France. Je continue à m’inspirer indifféremment de ces deux univers.

A la première écoute du titre « The gift (Don’t throw the crown away) », je l’ai qualifié de « free folk » comme on pourrait parler de free jazz. Cela t’es-t-il également venu à l’esprit au moment de l’enregistrement. Tes-tu senti plus libre qu’à l’accoutumée en jouant cette musique ?
Oui ! En écrivant ce titre j’avais envie de faire ce qui me passait dans la tête à ce moment précis. Je n’avais pas envie de tergiverser… Donc, ce « free folk » m’intéresse… Sur l’un des solos, nous sommes pourtant sur une rythmique de pure country. Ce qui a inspiré ce morceau est le fait que nous soyons tous issus du chaos que l’on trouve dans l’univers. Il a fallu des milliards d’années pour créer ce que nous sommes, des humains ou des animaux. C’est un cadeau et c’est pour cela que le titre s’intitule « The gift (Don’t throw the crown away)» soit « Le cadeau (Ne jette pas la couronne qu’on t’a mise sur la tête) ».  Les choses se confirment dans la structure de la chanson. Je le crie fort et, vers la fin, on retourne dans le chaos…

Cet album est fortement marqué par les mots et leur teneur. Quel est le premier ouvrage qui t’a fortement marqué, alors que tu étais en voyage aux 4 coins du monde ? 
Il s’agit, plutôt, d’un ensemble de livres… Il y a environ 3 ans, après une grande période de lecture, j’ai décidé de monter un spectacle en duo. Celui-ci était basé autour de la poésie, des livres et du voyage. Des auteurs tels que Sylvain Tesson, Walt Whitman ou Arthur Rimbaud ont été très importants à mes yeux. Il faut y ajouter ma propre passion pour l’écriture car j’écris de nombreux textes à chacun de mes voyages. J’avais envie de monter sur scène, dans des petites structures, afin d’y dire des jolis mots. Je tenais livrer certaines impressions à travers des petites histoires que je racontais aux gens…en étant très proche d’eux. Cela avait très bien marché et j’ai adoré le faire…

Très peu de gens connaissent Walt Whitman, auteur de Song of the open road. Ce poème, avec le recul, semble avoir inspiré toute une génération de songwriters américains (John Mellencamp, Bruce Springsteen, John Hiatt…). Sais-tu s’il a vraiment eu un impact sur ces auteurs-compositeurs originaires d’outre Atlantique ? 
Je crois, oui… Son approche de la poésie n’a pas dû les laisser insensibles. Whitman est l’un des premiers grands auteurs américains. Song of the open road est tiré d’un ouvrage, Leaves Of Grass (Feuilles d’Herbe dans sa traduction française). Il a démarré ce bouquin dans les années 1850 pour le terminer dans les années 1890. Il y a constamment apporté des corrections. C’est très étonnant à lire. Il me fait penser à Henry David Thoreau, même si la teneur n’est pas la même.

A ton avis, les mots peuvent-ils encore avoir du pouvoir aujourd’hui ? 
Je l’espère, j’y crois…

Comment t’y es-tu pris afin de créer ce subtil alliage des mots et de la musique qui agrémente le disque ?
Le fait de réunir ces deux composantes n’a pas été compliqué. Il est assez facile, avec l’expérience, de mettre de la musique sur des mots. J’ai un certain âge et j’ai écrit pour de nombreuses personnes. Il y a donc une sorte de routine qui s’est mise en place. Il y a des auteurs qui possèdent un vrai rythme. Je pense, par exemple, à Tchicaya U Tam’Si.

Il s’agit d’un poète congolais assez peu connu par rapport à d’autres auteurs issus de La Négritude (courant littéraire et politique créé entre les deux Guerres Mondiales). Comment as-tu découvert son œuvre ? 
En 2017, j’ai travaillé pour le Printemps des Poètes. Le thème d’alors en était l’Afrique. J’ai donc monté un petit spectacle consacré à ce continent, sans évoquer les rythmes, les tam-tams ou l’esclavagisme…car beaucoup de gens l’ont déjà fait dans le passé. J’ai essayé d’aborder les choses d’une manière marrante. J’ai effectué des recherches sur des auteurs car ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent (j’ai, malgré tout, repris un texte de Léopold Sédar Senghor). A cette occasion, j’ai fait de grandes découvertes… Parmi ces dernières, il y avait Tchicaya U Tam’Si et son poème La pluie avait parlé. Après seulement deux lectures du texte, j’ai écrit une musique dessus. Il faut dire que, dès le départ, c’est très musical. Mon travail en a été très facilité. Depuis, je ne l’ai jamais oublié…

Avec qui as-tu travaillé sur l’écriture des morceaux qui constituent cet album ? 
Il s’agit de Lorraine Duisit qui nous vient de Virginie, aux Etats-Unis. Elle sait mettre les bons mots sur ce que je pense. En règle générale, je commence à écrire une trame puis elle la met en forme. Parfois, je prends simplement le téléphone et je lui raconte l’histoire que je tiens à évoquer. Lorraine a beaucoup tourné sous son nom, avec Tom Espinola ou au sein du groupe Trapezoid qui était très connu dans les années 1970-1980. Elle est également une excellente chanteuse et mandoliniste. Elle a travaillé pour beaucoup de gens et, aujourd’hui, entre autres pour moi…

La véritable country music souffre beaucoup des préjugés en France. Il faut dire que la danse ne lui fait pas forcément du bien…
Nous avons connu de très belles périodes, jusqu’aux années 1990. Puis, la danse a pris de l’importance… C’est un phénomène social qui lie les gens. Du coup, ils sortent, voyagent, se déguisent… Par contre, ce n’est plus vraiment de la country. Nous ne sommes pas fermés mais lorsque nous donnons un concert, nous n’avons pas envie d’avoir quelqu’un qui vient devant la scène pour nous dire ce que nous devons jouer…pour qu’il puisse danser. Heureusement, le public évolue avec ma musique. C’est une chose très intéressante.

Aux Etats-Unis, les artistes de country sont avant tout considérés comme de véritables songwriters. N’est-il pas compliqué pour un artiste européen, qui se produit face à un public qui ne comprend pas forcément l’anglais, d’imposer la teneur de ses textes ?
Tour dépend de la manière dont on les présente. Quand je donne un concert et que j’en ai le temps, j’explique ce que je fais et pourquoi je chante telle ou telle chanson. Du coup, le public prend le temps d’écouter. D’autant plus que le public français aime comprendre le pourquoi du comment. Même s’il ne saisi pas tout les mots, il apprécie le fait de pouvoir mettre des images sur les textes. Il y a, aussi, des endroits où les gens comprennent bien l’anglais. Nous avons joué en Pologne à deux reprises cette année et, là-bas, tous les spectateurs connaissaient les paroles et reprenaient les titres en chœur. C’était très étonnant…

C’est, peut-être, lié au fait que chez nous la country est souvent relégué au statut de danse…
Oui, mais quand on voit l’affluence sur un festival de country, on peut être surpris. Il y a quelques années, lorsque nous nous rendions au Festival de Mirande, il y avait 160.000 spectateurs dont personne ne parlait. Un festival comme Les Eurockéennes fait des pages pleines lorsqu’il attire 90.000 spectateurs. Il y a un problème d’image…

Les artistes américains, avec lesquels tu as l’habitude de tourner, changent-ils de répertoire lorsqu’ils viennent en Europe ?
Non, ils jouent les titres grâce auxquels ils sont connus. Ils ne cherchent pas à s’adapter…

Tu as été inspiré par des mots d’auteurs pour élaborer ton nouvel album. Est-ce que cela a également été le cas en ce qui concerne des faits de société ?
C’est une bonne question… En fait, je ne pense pas car je suis déjà assez troublé par tout ce qu’il se passe. Je suis rarement d’accord avec de nombreuses choses qui se déroulent autour de nous…  Je l’explique dans le texte qui se trouve dans le livret du CD. Je suis né en 1959, j’ai donc un pied dans un siècle différent de celui dans lequel nous évoluons aujourd’hui. Tout a changé… La vie a changé, tout va trop vite, nous avons du mal à nous parler. Même le fait de faire de la musique a changé. Avant, on se mettait autour d’un truc et on jouait, sans se poser aucune question. Aujourd’hui, il faut se poser ces questions…savoir si ça va passer à la radio etc. Bref, des trucs complètement débiles qui ne contribuent qu’à nous enfermer. J’ai besoin de plus de liberté et c’est pour cela que je voyage. Je pars, sans savoir ce que je vais faire…juste pour le plaisir de me promener. J’aime repousser les frontières, voir du monde afin de redevenir simple et efficace.

Tu gardes un œil rivé sur le siècle qui t’a vu naitre mais, en même temps, tu es en contact avec notre époque comme l’atteste la musique que tu réalises avec des musiciens de grand talent…
Oui, il y a Bastiaan Sluis à la batterie. Il travaille avec moi depuis de nombreuses années et nous nous entendons très bien (musicalement et humainement). Nous retrouvons Manu Boch aux claviers qui, lui aussi, a déjà une longue carrière derrière lui. Nos liens d’amitié sont, également, très forts. Je tourne toute l’année avec eux. Ce sont des gens avec lesquels on peut partir sur la route. Ils sont adorables et je les adore. Je tiens à ajouter que, sur quelques titres de l’album, apparait le guitariste Danny Vriet. Il est aussi violoniste et il a joué avec tout le monde. Il a, par exemple, commencé sa carrière aux côtés de Joe Dassin. Ce qu’il fait est très joli…je tenais absolument à l’inviter sur cet album qui a été enregistré dans les conditions du live (mais sans que nous jouions forcément tous ensemble). Je prends toujours du plaisir à fignoler des choses, comme certaines lignes de basse (puisque je suis également bassiste). Il y a donc eu un peu de post production…

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Interview réalisée au
Studio RDL - Colmar
le 12 septembre 2018

Propos recueillis par

David BAERST

En exclusivité !


 

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