L'émission "blues"
de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST
Jimmy, pour commencer, peux-tu revenir sur ton
apprentissage de la musique et nous dire pourquoi tu t'es, spécifiquement,
consacré au piano ?
C'est une vieille histoire
Tout gamin, on m'a appris à jouer de cet instrument. Il y en avait
un à la maison parce que ma maman était professeur de piano.
Je me souviens, très bien, que tous mes profs disaient que j'étais
un très mauvais pianiste. Il y a même une professeur du Conservatoire
de Strasbourg qui avait convoqué ma mère pour lui suggérer
de me faire apprendre un " beau " métier; bûcheron,
maçon etc
Elle lui avait dit que son fils n'était vraiment pas fait pour
le piano
C'est pour cela que je me venge sur cet instrument aujourd'hui et que
je lui fais un peu mal de temps en temps (rires)
Je me souviens, quand même, d'avoir assez souffert derrière
le piano.
Puis, un jour, ma frangine a ramené un disque d'un pianiste qui
faisait une musique située entre le Jazz et le Rock et m'a dit
que je n'arriverai jamais à jouer un truc comme ça
J'ai, vaguement, écouté le disque et je me suis mis à
jouer cette musique, en cachette, quand ma mère sortait faire ses
courses. Il s'est avéré que la chanson était "
What'd I Say " de Ray Charles, c'est comme ça que
ça a commencé
Bien sûr le son n'était pas le même car je ne savais
pas comment jouer ce titre, s'il fallait le faire de la main droite ou
de la main gauche etc
Un jour, heureusement, j'ai vu Ray Charles le jouer c'était
très drôle (rires) !
De ce fait, on peut dire que tu as attrapé
le virus du Rock'n'roll par simple jeu ou par défit vis-à-vis
de ta grande sur
Oui, d'une part
D'autre part, il s'agissait d'une musique nouvelle. À l'époque,
nous avions juste le choix entre Yvette Horner, Maurice Chevalier,
Georges Guétary, les Compagnons de la Chanson et
des trucs aussi graves que ça. Sans parler de Charles Aznavour
qui sévissait déjà à ce moment là !
Tous ces trucs-là étaient assez durs
Il faut reconnaître que le Rock a été un grand choc
et que le premier disque de Chuck Berry, que j'ai entendu, une
vraie révélation pour moi.
Quand ma frangine sortait j'étais le gamin, moins âgé
de 4 ans, qui devait aller partout avec elle pour la surveiller. Elle
fréquentait des surprises parties où il y avait des disques
de Rock'n'roll que je n'aurais pas dû entendre à mon âge.
Par exemple en 1958, à l'âge de 10 ans, j'ai entendu Bill
Haley
Est-ce que le fait de vivre en Alsace était,
à ce moment là, un avantage en raison de la proximité
des bases militaires américaines situées en Allemagne ?
Oui tout à fait !
Cependant le creuset alsacien n'a pas fourni de grands groupes de Rock'n'roll
à la France comme cela a pu être le cas à Nice avec
Les Chats Sauvages ou à Paris avec Johnny ou Les Chaussettes
Noires.
Il faut savoir qu'en Alsace, il y a eu des groupes dès le début
du Rock'n'roll et du Twist. Chez nous, nous entendions beaucoup de bonne
musique. Par exemple, il y avait une base canadienne à Lahr qui
possédait sa propre radio et qui diffusait de la musique qu'on
n'entendait pas encore sur " Salut les Copains ". C'était
également le cas, plus au nord, du côté de Saarbrücken
à Ramstein.
Ceci dit, c'est surtout dans les surprises parties que j'ai découvert
ces musiques. Étant le plus jeune, j'étais chargé
de changer les disques sur le vieux Tepaz.
De ce fait mon premier job était Disc Jockey (rires) !
A quel âge as-tu décidé de
te produire en tant que pianiste ?
C'était en 1964 j'avais 16 ans et j'ai décidé, alors,
de lâcher les études. J'ai tout laissé tomber et me
suis cassé avec un orchestre allemand. Je suis parti dans les bases
américaines pour " taper " le piano
Je suis revenu en France en 1968 et, pour anecdote, c'est en 1966 que
j'ai vu pour la première fois un dealer. Ce dernier était
devant la scène, où je jouais de l'orgue, et avait un manteau
de fourrure chargé de petits sachets. A cette époque là
je me produisais dans un registre Country. La musique était, un
peu, du sirop et nous jouions pour les blancs becs. Les blacks se rendaient
dans d'autres Clubs. Les militaires ne se mélangeaient pas.
Par exemple, au Vietnam, les équipages étaient, uniquement,
constitués d'équipages noirs ou blancs à 100%. Je
me souviens avoir vu Fats Domino, en Allemagne, au King Club (Jimmy
faisait la première partie avec son groupe d'alors) où
les blancs était placés dans la partie gauche de la salle
et les noirs dans la partie droite. De plus sur la scène il y avait
une trace blanche que les artistes n'avaient pas le droit de dépasser.
En effet, c'est sur celle-ci que se posait un énorme rideau de
ferraille qui se fermait en cas de bagarre. Un peu comme cela se passe
dans le film " The Blues Brothers ".
L'étage était réservé aux GI's qui venaient
accompagnés de jeunes femmes. Ils ne pouvaient pas descendre en
bas sinon c'était la bagarre garantie. Voilà l'ambiance
des Clubs ricains à l'époque
C'était terrible !
Peux-tu revenir sur ton retour en France en 1968
?
Oui c'était en fait, fin 1967 ou début 1968 car je me souviens
avoir vécu les évènements de mai en France. J'étais
alors accompagnateur pour divers chanteurs. J'avais, par exemple, ramené
d'Allemagne un chanteur écossais nommé Bill Thomson
qui est devenu le chanteur des Falcons. Je l'avais connu en me produisant
dans un Club situé en face de celui dans lequel il officiait. J'avais
été frappé par ses capacités vocales et sa
façon de chanter le Blues .
T'es-tu, rapidement, imposé sous ton propre
nom ?
J'ai joué, pendant une dizaine d'années, avec un groupe
nommé les Rythm Checkers (voir
interview ICI). Nous tournions un peu partout en France et faisions
aussi du bal. En fait c'était du bal à notre façon
puisque nous reprenions du Santana ou du Deep Purple ( ). Ainsi,
c'est vers 1978 que j'ai commencé à me produire sous mon
propre nom avec mon groupe de Rock'n'roll
De quelle façon as-tu intégré
le groupe de Chuck Berry dont tu es devenu le pianiste sur une période
de 30 ans ?
Chuck venait très souvent en Europe, tout seul avec une guitare
et les mains dans les poches.
Il contactait des organisateurs, comme Harry Lapp à Strasbourg,
pour qu'ils lui trouvent des gens pour l'accompagner. C'est ainsi qu'Harry
m'a fait rentrer en contact avec Chuck, c'était en 1975...
A partir de là j'ai joué, très souvent, avec lui.
C'était une belle histoire, surtout entre 1975 et 1995...
C'est un grand monsieur, il jouait très bien et savait ce qu'il
voulait
Il m'a aussi fait découvrir des astuces scéniques qui n'étaient
pas évidentes pour un blanc bec comme moi. Par exemple, un jour
à Karlsruhe en Allemagne, il a du commencer 20 fois l'intro de
" Johnny B.Goode " mais sans jamais jouer le morceau en intégralité.
Le public devenait fou, les gens étaient collés au plafond
Ce genre de choses fait monter la purée, je ne te dis pas
Comme j'avais " zoné " plus de 10 ans dans les Clubs
ricains, je connaissais parfaitement leur langage. De ce fait, je pouvais
dialoguer avec lui mais c'était très dur
Il peut, parfois, faire très mal autour de lui mais c'est un grand
musicien qui a raconté des histoires fabuleuses.
Oui, il ne faut pas réduire Chuck Berry
à ses riffs de guitare car il est, probablement, le plus grand
songwriter de l'histoire du Rock'n'roll
C'est un grand poète, le premier dans le Rock'n'roll à avoir
raconté de vraies histoires qui se passaient entre les gamins.
Il a su refléter son histoire et celle des autres
Avant Chuck les textes c'était " Je me suis levé
ce matin, complètement cassé car ma gonzesse s'est faite
la malle ". Lui a ouvert plein de choses, même à
des artistes tels que Gainsbourg
Dans le Rock'n'roll, dès qu'un mot choquait on le censurait. Chuck
a écrit les textes les plus " X " sans qu'aucun censeur
ne s'en rende compte. Il y avait du sexe dans toutes ses chansons mais,
à l'époque, seuls les jeunes initiés au Rock'n'roll
comprenaient ce qu'il voulait dire par là.
Comme tu le connaissais un peu mieux que les autres
musiciens. Lui est-il arrivé d'être plus communicatif vis-à-vis
de toi, voir de te refiler des plans ou te donner des conseils ?
Jamais
En dehors de la scène il ne m'adressait pas la parole, comme avec
tout le monde.
Seule une fois, à Monaco, il s'est foutu de moi. C'était
mon dernier concert, avec lui, avant un moment.
En sortant des loges je lui ai parlé, la larme à l'il.
Il m'a, alors, pincé la joue et m'a dit " Oh baby, I love
you " .
Sinon, il n'a pas beaucoup tendance à sympathiser avec les gens.
La dernière fois qu'on a mangé ensemble, il a goûté
un vin blanc d'Alsace en faisant une moue terrible. De ce fait je dirais,
en plaisantant, que ce n'est pas un mec très fréquentable
(rires) !
D'un autre côté, en tant que musicien, on arrive tout de
suite à savoir ce qu'il veut sur scène. Sans parler, il
arrive à se faire comprendre
Ton nouvel album " Blues For Johnny "
(Cosmopolite Records) est constitué de morceaux composés,
au départ, pour Johnny Hallyday. Peux-tu revenir sur cette histoire
?
Cela a commencé en 2005 par une petite discussion, autour d'une
bière, avec un des associés de Johnny (Claude Bouillon,
gérant du restaurant " Le Balzac"/Nda). Il m'a fait
part du désir d'Hallyday de refaire un album constitué de
Blues. Il m'a proposé de lui envoyer quelques titres, ce que j'ai
fait. J'avais écris et composé ces morceaux avec Eric
Starczan qui est un très bon guitariste du Blues. Johnny a
adoré le résultat
Le texte original de " Under My Skin " était "
J'ai retrouvé mes racines dans le Delta, dans le Blues. J'étais
un homme sans racines Sais-tu combien de temps j'ai attendu ce moment
etc " et tous ces titres ont été signés
par Warner Pimiento dans le but d'être enregistrés. On m'a
, alors, poussé à composé d'autres chansons pour
ce disque et, de ce fait, avec Eric nous en avons fait 18. Un bon paquet
de ces chansons ont été retenues dans un premier temps.
Le disque de Johnny devait donc être, au départ, à
consonance très " Jimmy Bock ". Finalement, cela ne s'est
jamais fait
Je ne saurais pas dire, exactement, pourquoi mais je ne pouvais pas laisser
ce travail dans un fond de tiroir car les morceaux étaient chouettes
et ils représentaient un travail énorme. Je me dis, finalement,
que cela a été pour moi une motivation car ça m'a
permis d'enregistrer mon premier album studio depuis 1986. Avec Eric,
on a bossé sur de nouveaux textes en anglais car je n'aime pas
chanter en français. Nous avons donc sorti " Blues For
Johnny " chez Cosmopolite Records sans que cela ait quoique
ce soit de péjoratif vis-à-vis de Johnny.
Au contraire, je le remercie de m'avoir fait travailler et je n'ai que
de bons souvenirs avec lui. Nous avons passé une soirée,
ensemble, dans son restaurant " Le Balzac " en se marrant et
en chantant comme des fous. C'était assez arrosé et assez
drôle !
C'est un mec vachement bien dans la vie courante
Il est un musicien qui connaît bien son boulot et dès qu'il
ouvre la gueule et qu'il chante, il faut reconnaître que c'est quelque
chose Il possède une voix assez extraordinaire
Il a, donc, été le catalyseur pour que je fasse ce disque.
Comment s'est passée ta rencontre avec
Eric Starczan ?
Je le connais depuis quelques années. Je jouais souvent dans sa
région et, un jour, dans une MJC locale un type me propose de faire
un " buf " avec un jeune guitariste du coin. Dans un premier
temps, en le voyant, j'ai eu la même impression que Johnny Hallyday
qui avait déclaré " Il joue le Blues ce jeune mec
? "
En fait son père était déjà musicien et il
connaît le Blues depuis sa plus tendre enfance. Il est très
impressionnant car il possède, réellement, le vocabulaire
du Blues. Avec lui, il n'y a jamais un mot de travers ou une note qu'il
ne faut pas jouer. Il respire comme le Blues, c'est vraiment bien fait
Ce n'est pas pour rien qu'il accompagne Tony Coleman, le batteur de BB
King !
Je trouve qu'il est un des meilleurs guitaristes de Blues en France. Ce
n'est pas pour rien si, tout comme moi, Johnny a craqué pour lui
( )
Penses-tu que ce disque, finalement, va donner
une nouvelle orientation artistique voir une nouvelle impulsion à
ta carrière ?
Oui c'est certain !
Je pratique le Rock'n'roll depuis toujours et c'est ce qu'aime mon public.
Les gens ressentent, aussi, que je me fais plaisir en jouant du Rock'n'roll.
Faire du Jerry Lee Lewis au piano me fait, vraiment, prendre mon pied
de manière monstrueuse.
Le Blues est, davantage, une question de Feeling. Il faut savoir fermer
les yeux, ce qui n'est pas toujours évident dans une salle. De
plus, les soirées privées représentent 80% de mes
contrats. A partir de ce moment là, je me vois difficilement pleurer
le Blues
Pour bien chanter le Blues, je pense qu'il faut avoir vécu des
choses dures. Un type comme Johnny chante le Blues mais pour lui qu'est-ce
que le Blues ?
A 16 ans il était déjà célèbre
J'ai eu l'occasion de parler de Blues avec lui et il m'a, alors, raconté
plein de choses et donné plein d'idées. En fait le Blues
ne se résume pas au mec qui n'a pas de tunes, c'est un truc intérieur
Tu peux être riche à millions et avoir le Blues
Ne pas être aimé c'est très dur
Tu peux être riche et ne pas être aimé. J'ai connu
des milliardaires qui étaient tristes. Ils avaient beau avoir un
hélicoptère ou un Hummer devant la porte et vivre sans l'essentiel
Ils avaient le Blues
Remerciements: Yves (Cosmopolite Records),
Blandine & Jimmy Bock. Les photos de Jimmy sur scène sont issues
de son site internet.