Nda : Depuis notre première interview (voir ICI) en février 2012, la carrière de Mathis Haug a pris un essor considérable. Il faut dire que la sortie de son album « Distance », produit par l’harmoniciste Jean-Jacques Milteau, a joué un rôle important en ce qui concerne cette reconnaissance. Peu avant son entrée sur scène, pour un show particulièrement dense dans le cadre du Nancy Jazz Pulsations, le chanteur-guitariste au charisme hors norme m’a accordé un nouvel entretien dans sa loge. Un moment particulièrement riche, partagé avec Stephan Notari (à la batterie, à la guitare acoustique et au chant aux côtés de Mathis) et Frédéric Loumagne (régisseur et ingénieur du son de l’artiste).
Mathis, depuis notre dernière interview ton actualité a été très riche. Tu as, notamment, sorti un nouvel album « Distance » (Dixiefrog, 2013) pour lequel tu as pu bénéficier de toute l’expérience de Jean-Jacques Milteau, puisqu’il en est le producteur. Peux-tu me parler des circonstances de votre rencontre et de la genèse du disque ?
J’ai rencontré Jean-Jacques, en février 2012, sur les conseils de Philippe Langlois du label Dixiefrog. J’avais déjà enregistré un disque pour ce dernier, « Playing My Dues » sorti en novembre 2011. Il tenait à ce que je réenregistre assez rapidement, en étant accompagné par un réalisateur… Il a donc pensé à Jean-Jacques Milteau qui, pour l’occasion, a écouté ce que je faisais. Il a aimé le résultat même s’il estimait qu’il y avait, selon lui, certaines choses à revoir. Il m’a expliqué la chose et je suis tombé d’accord avec lui. Motivé par ses dires, j’ai commencé à lui envoyer de nouvelles chansons que j’ai écrites pour l’occasion. De fil en aiguille nous avons rapidement fixé des dates d’enregistrement (en juin 2012). Tout s’est fait le plus naturellement et le plus simplement possible. C’est une belle rencontre… L’idée première de Jean-Jacques était d’aller au plus proche de ce que je pouvais proposer, en évitant de répéter avant d’entrer en studio. Nous avons commencé les sessions avec Stephan Notari qui joue de la batterie, du piano et qui chante sur l’album (il est également guitariste, à mes côtés, sur scène). Il n’y avait ni bassiste, ni ingénieur du son. Nous n’étions qu’à trois avec Jean-Jacques qui a, bien sûr, validé sa présence en interprétant « quelques » notes d’harmonica…
Le fait de devoir travailler dans « l’urgence » est-il une nécessité pour toi, as-tu besoin de ressentir une certaine « pression » afin d’être au sommet de ta créativité ?
Visiblement oui (rires) !D’ailleurs, c’est encore le cas pour le projet sur lequel je travaille actuellement. Le fait d’avoir une « date de livraison » est une chose motivante car il faut finir les choses en temps et en heure. C’est stimulant car, de ce fait, on sait exactement où on va.Après des années à avoir autoproduit des choses, en prenant mon temps sans savoir ce qu’il allait en advenir, j’étais enfin confronté à une « dead line » et à des dates précises (enregistrement en juin, mixage en septembre et sortie du disque au mois de février suivant) ainsi au fait de savoir qui travaillerait avec moi en aval (promo etc…).C’est une chose plus rassurante, on sait pourquoi on travaille en tout cas…
Y-t-il eu beaucoup de modifications entre les morceaux tels qu’ils étaient au moment de leur élaboration et le « produit final » ?
Je ne pense pas qu’il y a eu beaucoup de modifications. Nous avons été vers l’essentiel… J’ai l’impression que Jean-Jacques Milteau m’a poussé à « épurer » au maximum afin d’aller vers des choses simples. Nous n’avions pas beaucoup de temps à notre disposition et de ce fait, nous ne pouvions pas faire quelque chose de trop produit (arrangements etc…). De plus, nous n’avions pas le budget pour cela. Nous avons donc souhaité faire des choses que nous étions capables de faire, le mieux possible… nous avons travaillé dans ce sens… Nous avons fait une première session de 5 jours en juin 2012 et nous nous sommes laissé l’été afin de pouvoir réécouter le résultat.En septembre nous avons ajouté quelques instruments complémentaires (saxophone…). Mike Lattrell est, aussi, venu jouer de l’orgue, de la mandoline et du tuba, puis nous avons fait quelques dernières modifications.
Si vos univers musicaux ne sont pas diamétralement opposés, la musique que tu proposes dans ce disque est assez éloignée de celle que Jean-Jacques Milteau a l’habitude de créer. T’a-t-il étonné durant votre travail en studio ?
Je connaissais la musique de Jean-Jacques avant de rencontrer ce dernier. Il est vrai qu’à mes oreilles elle sonnait comme quelque chose de remarquablement produit. En travaillant à ses côtés j’ai découvert un homme qui possède une énorme expérience et qui est un excellent musicien, comme tout le monde le savais déjà. De plus, il a une grande culture musicale et il possède des références que l’on ne soupçonnerait pas venir de lui. C’est même lui qui m’a poussé à être plus rock sur certains morceaux…
Tu me disais que tu aimes travailler dans l’urgence. Dans ce cas de figure précis, comment sélectionnes-tu les thèmes que vas aborder dans tes chansons. Est-ce des sujets que tu as en tête depuis longtemps ou t’inspires-tu de l’actualité du moment ?
Lorsque j’ai rencontré Jean-Jacques, je n’avais aucun morceau d’écrit. En fait, il n’y en avait que deux que l’on faisait déjà sur scène auparavant (« Poodle dog » et « Wise advice »)… le reste n’existait pas. Donc je n’avais pas trop le choix. Il fallait que j’écrive les « trucs » et j’avoue avoir tourné en rond les premiers jours. Je me suis donc lancé en me disant que je pourrais toujours, au besoin, corriger par la suite. Je me suis fait plaisir sans m’imposer un seul thème en particulier pour cet album.J’avais, en face de moi, une personne qui me faisait confiance (Mathis fait, bien sûr, référence à Jean-Jacques Milteau, nda), ce qui m’a encouragé à écrire ce que j’avais vraiment envie d’écrire. Jean-Jacques était, par ailleurs, toujours satisfait des textes que je lui envoyais.On trouve, tout de même, quelques critiques sociales sur ce disque comme « Paper cup » ou « Sad and lonesome day blues ». Ces sujets me « parlent »…
Ce titre de « Distance » pour cet album est assez surprenant. D’autant plus qu’il marque, avant tout, le rapprochement entre deux musiciens…
C’est Jean-Jacques qui a proposé ce titre pour l’album. Ceci par rapport à la distance que j’ai vis-à-vis de mon pays natal (Mathis est d’origine allemande, nda) et par rapport à la musique que je joue. Cette dernière n’est ni typique du sud de la France (Mathis vit à Nîmes, nda), ni typique de l’Allemagne. Cette distance évoque donc un éloignement ou quelque chose de plus proche…C’est aussi un mot international, compréhensible pour les allemands, les français et les anglo-saxons.
C’est un disque que tu défends sur scène avec, souvent, des configurations de groupe variables. As-tu des préférences en ce qui concerne ces configurations. Préfères-tu être seul en scène, t’y produire en duo ou avec davantage de musiciens. Au contraire, n’y vois-tu aucune différence ?
Non, il y a bien des différences pour moi. Je jouais davantage en solo lors des concerts qui suivaient la sortie de l’album « Playing My Dues ». Aujourd’hui, je préfère jouer avec des musiciens.Mes concerts en solo sont différents, ils sont plus « calmes ». Nous avons commencé à travailler le répertoire scénique de « Distance » en y ajoutant quelques chansons du CD « Playing My Dues », voire des morceaux du groupe Mathis & The Mathematiks. Je me souviens avoir joué, avec Stephan, dans un tout petit bar en Arles. C’était une véritable expérience car il y avait amené des petits bidons en tôle et a construit sa batterie à partir de ces éléments (avec une valise à la place de la grosse caisse).Je varie donc les plaisirs même si ma formule, en duo avec Stephan, fonctionne à merveille. D’ailleurs mon tourneur (Yohann de Nueva Onda, nda) ressent la même chose et me pousse dans ce sens.Pour répondre à ta question, c’est cette formule que je préfère depuis des années. Elle correspond parfaitement à ma musique. De plus elle simplifie les choses à de nombreux niveaux. Avec elle nous arrivons à faire l’essentiel et aussi à voyager plus facilement…
Au fil des concerts, tes morceaux peuvent évoluer dans leur forme. Est-ce qu’il t’arrive aussi de les faire évoluer dans leur fond (modifications de textes, de structures…) ?
Honnêtement non, mais c’est une bonne idée (rires) !D’un autre côté nous ne jouons jamais vraiment nos chansons de la même manière. Nous gardons une base mais aimons improviser par-dessus. D’ailleurs nous continuons à jouer dans des cafés tout autour de chez nous. C’est une bonne école et un autre rapport avec le public. Les gens n’y viennent pas écouter les artistes de la même manière… c’est très intéressant ! Dans les cafés nous n’établissons aucune setlist et chantons uniquement ce qui nous passe par la tête (des reprises et des choses qui font danser les gens). Dans ce cadre, nous avons un rôle de musiciens-animateurs de soirées que nous assumons et que nous aimons bien. Nous essayons de garder un peu de cette fraîcheur lorsque nous sommes sur scène, dans des endroits plus grands.
Depuis la sortie de « Distance », tu as accumulé les concerts et tu as pu rencontrer d’importantes personnalités milieu musical. Je pense, par exemple, à la chanteuse canadienne Nanette Workman qui semble t’avoir marqué. Peux-tu me parler de cette collaboration ?
J’ai eu la grande chance de pouvoir participer (ce que je souhaite à tous les musiciens) au festival « Rochefort En Accords ». Cette manifestation a pour habitude d’inviter une vingtaine d’artistes (auteurs-compositeurs et instrumentistes) venus de divers univers musicaux et menant des carrières plus ou moins importantes. Tous se retrouvent dans les mêmes endroits (logement et local de répétition) et répètent le mercredi alors que le jeudi, le vendredi et le samedi sont consacrés aux concerts. Je devais, pour ma part, faire deux concerts sous mon nom en y faisant participer d’autres musiciens présents durant ces quatre jours. Nanette en faisait partie et cela a, effectivement, été une très belle rencontre. Elle est venue chanter sur certaines de mes chansons et je l’ai accompagnée durant son propre set. J’ai aussi bien « accroché » avec l’harmoniciste québécois Guy Bélanger, le violoncelliste américain Eric Longsworth, le guitariste américain Preston Reed et quelques autres. C’est la première fois que j’ai eu l’impression que la musique est vraiment un langage universel…Sur ce festival, tout le monde accepte de jouer le jeu même si au départ tout le monde se pose les mêmes questions, craignant de ne pas pouvoir communiquer avec les autres. Finalement, tout se passe naturellement pour un résultat qui est vraiment bluffant !
Tu as également eu l’occasion de voyager aux Etats-Unis l’été dernier. Ce trip a-t-il aussi été le « déclencheur » de quelques belles rencontres musicales ?
Oui, nous sommes partis pendant quinze jours, avec Frédéric Loumagne notre régisseur et ingénieur du son, à la rencontre de Pura Fe’ en Caroline du Nord. Ceci dans le but de réaliser son prochain album. Nous avons donc enregistré les maquettes sur place mais les sessions définitives se dérouleront en France au mois d’avril 2014. C’était vraiment chouette… J’en ai, par ailleurs, profité afin de donner mes deux premiers concerts américains. Ils se sont déroulés dans de beaux clubs et j'avais un peu les « chocottes » (rires) !Il n’y avait pas un enjeu énorme mais j’appréhendais vraiment la manière dont ma musique serait perçue. En fait, elle a été très bien accueillie… C’est drôle car je pensais toujours faire de la musique américaine alors que, sur place, les mecs me disaient « non non, ce n’est pas ça… tu ne fais pas de la musique américaine » (rires) !
Pura Fe’ est une chanteuse et musicienne amérindienne, issue du peuple Tuscarora, qui est très spirituelle. Est-ce un aspect de sa personnalité que tu as constaté dans ton travail au quotidien avec elle ?
Oui, c’est vrai, elle possède un vrai côté spirituel. Elle est aussi très investie dans sa communauté. Dès qu’elle chante, on ressent une grande force. C’est là que j’ai ressenti le plus de spiritualité car pour aller aussi loin je pense qu’il faut, en effet, être possédé quelque part (rires) !
Comment te verrais-tu évoluer musicalement dans l’avenir, surtout après toutes ces rencontres très différentes les unes des autres ?
Comme un jazzman (rires) ! Je dis souvent que je me sens un peu jazzman dans ce sens-là. Même si je ne pratique pas cette musique au quotidien… Ceci est toujours lié à cette question d’ouverture. J’ai parfois l’impression de m’ennuyer rapidement lorsque je me retrouve confronté aux mêmes choses. J’aime bien quand ça évolue, quand il y a des nouvelles choses, que ce soit nourri par des rencontres. Cela nous permet d’avancer et de nous faire avancer les uns avec les autres. A titre personnel, je ne pourrais pas évoluer dans une scène musicale spécifique car je me sentirais probablement trop à l’étroit. J’ai besoin d’ouverture, de musique des grands espaces…
Outre l’enregistrement du futur album de Pura Fe’, as-tu des projets ?
Nous aurons pas mal de choses à réaliser l’an prochain car nous continuerons de tourner pour l’album « Distance ». Nous ferons donc ce disque pour Pura Fe’ et l’accompagnerons probablement sur scène. Je vais aussi collaborer, en tant que chanteur (et peut être davantage) au prochain album de la pianiste de jazz Perrine Mansuy… que j’ai également rencontrée dans le cadre du festival « Rochefort En Accords ». Cela est déjà pas mal, nous serons donc bien occupés avec tout cela en 2014…
Le fait de passer du statut « d’artiste produit par Jean-Jacques Milteau » à celui de « réalisateur d’un album de Pura Fe’ » est-il aisé. Penses-tu pouvoir tirer profit de l’expérience vécu auprès du célèbre harmoniciste pour cela ?
Oui, j’espère pouvoir appliquer ses leçons. J’ai bien observé la manière dont il travaillait et surtout celle dont il envisage les choses. Il le fait surtout en parlant, c’est un monsieur qui réfléchit et qui dit souvent les bonnes choses aux bons moments. L’âge joue sûrement pour tout cela (rires) !
Souhaites-tu ajouter une conclusion à cet entretien ?
Je suis content de pouvoir m’adresser pendant une demi-heure à tes auditeurs et lecteurs, comme toujours (rires) ! J’espère pouvoir vous croiser très rapidement les alsaciens, alors à bientôt !
Remerciements : Stéphanie Collard et Caroline Hollard du service de presse du Nancy Jazz Pulsations.
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